Discours prononcé à la réception des Komsomols-Kolkhoziens d’avant-garde, le 8 octobre 1942


Camarades,

La guerre que mène notre pays est très dure et très sanglante. Les Allemands ont réussi à entraîner dans la guerre, à leurs côtés, les armées de plusieurs Etats : Italie, Roumanie, Finlande, Hongrie. Chacun d’eux, sauf l’Italie, est petit par lui-même ; mais il n’en est pas moins vrai que nous, sommes seuls à nous battre contre toute une série d’Etats européens.

Les Allemands ont occupé chez nous un vaste territoire, des régions à population dense. Ils s’imaginaient qu’après avoir essuyé quelques chocs foudroyants, notre armée se désagrégerait et se débanderait. C’est le contraire qui s’est produit : l’opiniâtreté que l’Armée rouge met à se battre, la résistance qu’elle oppose à l’ennemi se renforcent chaque mois davantage. Ici se révèle la ténacité de nos compatriotes, éduqués par le Parti bolchevik. Une seule mauvaise habitude gêne encore certains d’entre nous. Je veux parler de ceux qui, comme on dit, ne se signent que quand le tonnerre s’est mis à gronder. Ils ne commencent à se battre comme il faut que lorsqu’ils voient que l’Allemand les prend à la gorge.

On ne croyait pas, à l’étranger, que notre pays riposterait aussi vigoureusement aux hitlériens. Certains s’imaginaient que nous n’avions que peu de forces, que notre industrie était mauvaise, que notre armée était faible et que les Allemands auraient bientôt raison de nous. L’héroïque résistance que notre peuple oppose à l’envahisseur allemand remplit aujourd’hui d’étonnement tous ces politiques.

À l’étranger, seuls les aveugles ne voient pas que chez nous l’unanimité est complète entre le gouvernement et le peuple. Bien que les Allemands aient occupé un grand territoire, les forces que notre pays a mises en ligne sont très importantes. Les Allemands eux-mêmes ne pensaient pas se heurter à une pareille résistance ; ils croyaient pouvoir nous réduire en trois ou quatre semaines. On voit aujourd’hui combien ils se trompaient.

Notre Armée rouge se bat contre les Allemands d’égal à égal. Bien mieux, la Roumanie, la Hongrie, l’Italie, la Finlande se (battent aux côtés des Allemands, alors que l’U.R.S.S. est seule à mener le combat. Nous avons de nombreux matériels qui ne sont pas moins bons, qui sont même meilleurs que ceux des Allemands. Nous nous sommes mis à tirer plus rapidement parti de nos ressources. Pendant la guerre, nos soldats et nos officiers ont beaucoup appris. Certes, sur un front aussi vaste, il est des chefs médiocres ; il en est aussi d’incapables. Mais la grande majorité est sans conteste à la hauteur de la situation.

Nos pertes sont grandes, c’est entendu, mais celles des Allemands sont plus grandes encore. J’ai interrogé des militaires en détail afin de connaître toute la vérité. Ils sont unanimes à affirmer que les Allemands perdent beaucoup plus que nous. Il est vrai qu’en territoire occupé ils ont mis la main sur une nombreuse population civile. Mais ils n’y gagneront rien.

L’issue de la guerre dépend de la résistance que nous saurons opposer. Nous devons beaucoup aux courageux défenseurs de Stalingrad. Ils se battent bien et montrent comment il faut défendre notre sol, nos localités.

Je dois dire que sur les autres fronts, là où les Allemands tentent de passer à l’attaque, ils se heurtent également à une riposte énergique. Plus seront vigoureux les coups que nous leur porterons, plus vite les soldats allemands comprendront où les mènent leurs rêves de conquête.

Et maintenant, quelques mots sur la situation de notre industrie. Nous avons réussi à évacuer les entreprises des régions occupées par les Allemands. Ils ne s’y attendaient certainement pas et comptaient bien utiliser immédiatement nos usines pour leurs propres besoins.

Déjà le travail a repris dans les entreprises évacuées. Dans l’ensemble, notre industrie s’est révélée supérieurement organisée et d’une grande souplesse. Dans cette guerre, les ouvriers, les contremaîtres, les ingénieurs, le personnel (technique et administratif se sont montrés, disons-le nettement, tout à leur honneur : ils travaillent avec abnégation et, de jour en jour, accroissent le rendement.

Aussi notre armée est-elle, au point de vue technique, équipée et ravitaillée mieux qu’elle ne l’a jamais été, mieux qu’au début de la guerre. Cela ne s’est presque jamais vu au cours de l’histoire de la Russie. Autrefois, il n’arrivait jamais qu’en temps de guerre l’armée russe eût des obus à volonté.

Vous savez tous le rôle que l’artillerie joue au cours des hostilités. Cette guerre montre qu’on peut envier notre artillerie. Nos pièces sont d’excellente qualité. Nous en produisons assez non seulement pour remplacer les canons usés et perdus, mais encore pour constituer des réserves. Il y a également progrès en ce qui concerne les chars. Le monde entier reconnaît qu’il n’existe pas de chars meilleurs que les nôtres.

Notre industrie, vous le voyez, s’est montrée à la hauteur de ses tâches. Mais il ne faut pas nous en prévaloir ; il faut que nos entreprises travaillent mieux encore. Nos possibilités sont loin d’être épuisées.

Aujourd’hui, le problème le plus ardu est celui que pose l’agriculture. Les Allemands occupent temporairement l’Ukraine et le Kouban. Ce sont ces territoires qui fournissaient au pays la plus grande quantité de blé marchand. C’est maintenant, aux régions orientales, à la Transvolgie, de fournir l’effort principal dans la bataille du blé. Elles doivent en produire le maximum, et pour cela tendre leurs forces à l’extrême, tirer parti de toutes les possibilités. Je pense que si ces régions travaillent comme il le faut, nous nous en tirerons. Il faudra également exiger plus de régions comme celles de Kalinine, de Iaroslavl, de Moscou, de Riazan et de Gorki. Le régime kolkhozien leur permet de satisfaire ces exigences. Nous devons coûte que coûte augmenter la production du blé. C’est un secteur très important dans la lutte que nous menons pour vaincre les Allemands.

Dans l’agriculture comme dans l’industrie, la force essentielle, ou en tout cas l’élément le plus actif de la population, c’est à l’heure actuelle les komsomols et les pionniers. Leur rôle est bien plus important qu’autrefois. Dans les villages, il est resté très peu d’hommes de moins de 40 ans ; on y compte surtout des femmes et des enfants. C’est du Komsomol que dépendent aujourd’hui dans une grande mesure les succès dans la production. Notre attitude à son égard a changé en conséquence. Il faut considérer les komsomols autrement, exiger d’eux davantage. A l’armée le Komsomol est aussi l’élément le plus actif. En somme, c’est vous) qui, à bien des égards, aurez à supporter le poids de la guerre. Vous avez toute la vie devant vous. Quand nous aurons écrasé les Allemands — et nous les écraserons, là-dessus, aucun doute n’est possible — c’est vous qui aurez à relever ce qui aura été détruit, à consolider et à édifier notre Etat.

Cette guerre est pour notre jeunesse une grande et cruelle école. Les fascistes ont embrigadé et dressé leur jeunesse, grâce à quoi ils ont pu la plier à leur volonté, lui inculquer la discipline — bien entendu une discipline toute mécanique. Il est clair que lorsqu’on commencera à les battre, on verra le revers de cette discipline ; mais en attendant, elle aide les Allemands.

Quelles sont aujourd’hui les tâches qui se posent devant vous, devant les komsomols ?

Premièrement, vous devez comprendre que vous, komsomols et kolkhoziens, vous êtes pour une bonne part responsables de l’état de notre agriculture. A l’heure actuelle, il n’existe pas à la campagne d’organisation plus nombreuse que celle du Komsomol. Les komsomols, ce ne sont plus ces joyeux gars qui vont par le village en jouant de l’accordéon ; une grande responsabilité leur incombe. Ils doivent se préoccuper de la vie du village pendant la guerre. Vous aurez encore beaucoup, beaucoup à faire. Vous devrez répondre de la marche des travaux et de leur qualité. Vous êtes à présent de grandes personnes. La notion même de Komsomol doit être changée. Le Komsomol, c’est la partie de la population dont l’activité est la plus vivante, qui assume l’entière responsabilité de la production. Si un kolkhoz travailla mal, s’il ne remplit pas ses obligations, c’est avant tout l’organisation du Komsomol qui aura à en répondre, moralement devant toute la population, politiquement devant les organismes centraux, devant le Parti, devant l’Etat. Tout cela, il faut bien le comprendre, et en tirer des conclusions pratiques pour soi-même.

Deuxièmement, vous devez acquérir plus de connaissances en agriculture — aussi bien pratiquement que dans les livres, car sans elle on ne peut faire progresser l’agriculture. Il reste peu de gens expérimentés à la campagne : ils sont partis à l’armée. Et ce sont bien entendu les komsomols qui, à l’heure actuelle, sont le plus étroitement liés, liés de cœur avec le kolkhoz. Ils ignorent toute autre forme d’économie. Ils ne connaissent l’économie individuelle que par ouï-dire ou par les souvenirs qu’on évoque devant eux. La vieille économie individuelle était arriérée. Par conséquent, que vous le vouliez ou non, vous devrez acquérir de l’expérience en matière d’agriculture. Pour le moment, vous n’avez encore que peu d’expérience et de savoir ; or, sans l’expérience et le savoir, le kolkhoz ne peut progresser. Vous voudriez peut-être devenir ingénieurs, techniciens, médecins, occuper des postes administratifs ou politiques. Mais il y va à l’heure actuelle du salut de l’Etat, de son indépendance. Vous êtes responsables de la production. Et vous devez travailler en premier lieu là où vous êtes le plus nécessaires au bien du pays. Il vous faut devenir au plus vite des hommes d’expérience, parfaitement au courant de leur affaire, connaissant la production kolkhozienne. Il n’y a pas d’agronome ? Il faut le remplacer. Il faut que dans chaque organisation kolkhozienne il y ait des gens qui approfondissent telle ou telle branche de l’agriculture (cultures champêtres, élevage), qui cherchent les moyens d’obtenir de hautes récoltes de céréales, de légumes, de pommes de terre, de lin. Il serait désirable qu’on mît davantage en avant la jeunesse féminine.

Troisièmement, il vous faudra devenir les premiers organisateurs au village. Evidemment, là encore vous avez peu d’expérience. Pour diriger, il y a certaines choses qu’un organisateur doit savoir. Certes, il est difficile à une jeune fille de 18 ans d’occuper un poste de direction. Mais personne ne nous donnera des dirigeants tout prêts. Le mieux est de nommer hardiment aux postes de direction ceux en qui on sent un talent et une poigne d’organisateur.

Il y a chez nous de jeunes partisanes. Ce qu’elles font n’est pas facile, mais elles ont du cran, l’esprit d’organisation, elles sont capables de ruses de guerre et ne se battent pas plus mal que les hommes. Or, la lutte des partisans est autrement difficile que le travail au kolkhoz. Le partisan doit résoudre des problèmes tactiques, déjouer les ruses de l’ennemi. Et malgré tout, nous comptons parmi eux un nombre considérable de femmes. Je crois que dans l’agriculture également il y a beaucoup de jeunes filles intelligentes à qui l’on peut confier des postes de direction. Il faut les trouver et les placer à ces postes.

Il arrive parfois que la direction est confiée à un de ces hommes dont on dit qu’ils ne sont ni chair ni poisson. Ils manquent d’énergie, ils n’ont pas le cœur au travail. Leur seul mérite, c’est d’avoir un certain âge. Il faut sans hésiter leur substituer des nouveaux, des jeunes : que des komsomols les remplacent. Voilà pourquoi vous devez devenir les organisateurs de la production.

Enfin, quatrième tâche, le travail politique parmi les masses. Les difficultés causées par la guerre se font également sentir à la campagne. Le Komsomol doit donc en parler, il doit expliquer le caractère de ces difficultés pour que les gens comprennent qu’elles ne sont pas provoquées par nous, mais qu’elles nous ont été imposées, et que chaque kolkhozien doit à tout instant fournir l’effort maximum. Si nous ne supportons pas stoïquement toutes les difficultés, si nous n’arrivons pas à les surmonter, si nous n’écrasons pas les Allemands, nous subirons un terrible esclavage. Alors non seulement nous ne reverrons plus nos maris, nos pères et nos frères, mais la vie elle-même sera une malédiction.

Le Komsomol doit être l’élément le plus actif, le plus vivant et le plus décidé de la jeunesse, qui n’a qu’un but : écraser l’ennemi. Aucun sacrifice ne doit nous arrêter. Nous devons consentir à tous les sacrifices, tout faire pour la victoire.

Vous voyez combien sont grandes les tâches qui vous incombent aujourd’hui. Il faut donc qu’augmente le nombre des komsomols. Il faut accepter au Komsomol les nouveaux adhérents comme on les accepte au front. Au front, on ne demande pas au soldat s’il connaît les statuts, ni s’il connaît l’histoire. S’il se bat bien contre les Allemands, il est le meilleur des candidats au Komsomol et au Parti. Il y a des jeunes filles qui travaillent fort bien mais qui, à une réunion, sont à ce point désemparées, qu’elles n’arrivent pas à nouer deux mots. Quand on leur parle, on constate que ce sont de braves filles bien à nous. Mais elles sont modestes, et c’est pourquoi elles se troublent. Vous devez vous-mêmes recruter au Komsomol ceux qui ont fait leurs preuves au travail.

Il est vrai qu’il y a aussi des jeunes qui travaillent bien, mais tâchent, quand on lie les gerbes, par exemple, de s’attribuer aussi le mérite du travail des autres. Ou d’autres, très bien à première vue, mais qui pour se pousser ont recours à toutes sortes de machinations. Je n’accepterais pas au Komsomol des gens pareils. Ce n’est pas la peine d’admettre dans l’organisation un homme qui, pour se faire valoir, emploie des procédés malhonnêtes. Sa place n’est pas au Komsomol.

Certains entrent au Komsomol pour arriver. C’est pourquoi on ne doit pas accepter n’importe qui ; mais d’autre part il ne faut pas créer de barrières artificielles. Au contraire, les jeunes gens doivent sentir qu’ils peuvent entrer au Komsomol, que la porte leur est grande ouverte. Car au village, vous connaissez tout le monde. La plupart des familles sont composées de braves gens. Et c’est avec de bons éléments qu’il faut renforcer le Komsomol. Six ou huit komsomols pour tout un village, c’est peu. Il faut qu’il y en ait au moins une vingtaine. Il faut faciliter l’entrée au Komsomol, et que toujours, au seuil du Komsomol, se presse une foule d’impatients.

C’est à peu près tout ce que j’avais à vous dire, camarades. Les questions dont je vous ai entretenus ici ne sont pas nouvelles pour vous. Vous aurez néanmoins à vous en inspirer, à vous en pénétrer, pour répondre aux exigences du temps de guerre dont je vous ai parlé. Rappelez-vous qu’assurer le succès en agriculture, c’est gagner une importante bataille dans cette grande guerre. Et que c’est vous, komsomols et komsomoles, qui répondez de ce succès.

Je vous souhaite d’accomplir un bon travail. Si un jour nous nous réunissons de nouveau, je voudrais que vous puissiez me dire que l’organisation du Komsomol au kolkhoz est plus forte, que l’organisation du Komsomol à la campagne est devenue une organisation politique encore plus combative, et que la campagne sent, mieux encore, que le Komsomol est une grande force.

Komsomolskaïa Pravda, 22 octobre 1942.