Les écrits de Mao sur la philosophie visaient à éduquer les cadres du Parti et les masses dans le marxisme-léninisme afin de changer le mode de pensée et de pratique. Mao lui-même était un ardent étudiant de philosophie. Quand il mettait la main sur des livres de philosophie, il en faisait une lecture intense et concentrée. En raison de l’influence antérieure des dogmatiques qui étaient rentrés après avoir étudié en Russie et qui ne pouvaient pas relier leurs connaissances à la réalité, Mao était continuellement désireux de faire en sorte que l’étude et l’enseignement du Parti soient liés à la pratique. Il voulait rendre la philosophie marxiste, et en particulier la méthode dialectique marxiste, accessible à tous les cadres et militants du Parti ainsi qu’aux masses.

Les enseignements de Mao au sujet de la théorie de la connaissance furent d’une importance primordiale. Un travail important fut son essai De la pratique – sur la relation entre la connaissance et la pratique, entre savoir et faire. Bien que cette conférence ne durait qu’environ deux heures, Mao confia qu’il lui avait fallu des semaines pour l’écrire. Le point central exposé par celui-ci est que les connaissances ne tombent pas du ciel, elles proviennent de la pratique sociale et d’elle seule. La vraie connaissance, ou les idées justes, proviennent de trois types de pratique sociale : la lutte pour la production, la lutte des classes et l’expérience scientifique.

La théorie dépend de la pratique. Il est impensable, déclarait Mao, qu’elle ne soit pas mesurée et vérifiée par la pratique. A son tour, la théorie change la pratique, change notre méthode de travail et de réflexion. Grâce à cela, on mène à bien la transformation et l’acquisition de plus de connaissances. Personne n’est né sage ou né stupide. La connaissance ne peut pas venir avant l’expérience matérielle ; personne ne peut devenir un expert avant de pratiquer une chose.

Mao expliqua le processus d’obtention de connaissances. Il part de la connaissance perceptive, du stade des perceptions sensorielles et des impressions, où l’homme ne voit d’abord que les aspects distincts, les relations extérieures des choses. Au fur et à mesure que la pratique sociale continue, les choses qui éveillent les sens de l’homme, les perceptions et les impressions au cours de sa pratique sont répétées plusieurs fois ; alors un changement soudain (bond) a lieu dans le cerveau dans le processus de compréhension, et les concepts sont formés. Les concepts ne sont plus les phénomènes, les aspects distincts et les relations extérieures des choses ; ils saisissent l’essence, la totalité et les relations internes des choses. Entre les concepts et les perceptions sensorielles, il n’y a pas seulement une différence quantitative, mais aussi qualitative. La connaissance conceptuelle, logique ou rationnelle est une étape supérieure à celle du savoir perceptif.

Il y a deux aspects importants à cela. Le premier est que la connaissance rationnelle dépend de la connaissance perceptive. Il est insensé de penser que la connaissance rationnelle peut être développée sans que personne n’ait d’abord expérimenté et obtenu des connaissances perceptives. Le deuxième aspect important est que la connaissance perceptive reste à développer en connaissance rationnelle. Cela signifie que la connaissance perceptive doit être approfondie et développée au stade de connaissance rationnelle.

L’acquisition de connaissances rationnelles n’est cependant pas une fin en soi. Comme le marxisme l’a toujours soutenu, le point essentiel de toute connaissance est d’être mise en pratique. Ainsi, comme le dit Mao, « Par la pratique découvrir les vérités, et encore par la pratique confirmer les vérités et les développer. Partir de la connaissance sensible pour s’élever activement à la connaissance rationnelle, puis partir de la connaissance rationnelle pour diriger activement la pratique révolutionnaire afin de transformer le monde subjectif et objectif. La pratique, la connaissance, puis de nouveau la pratique et la connaissance. Cette forme cyclique n’a pas de fin, et de plus, à chaque cycle, le contenu de la pratique et de la connaissance s’élève à un niveau supérieur. Telle est dans son ensemble la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance, telle est la conception que se fait le matérialisme dialectique de l’unité du savoir et de l’action. »

L’autre contribution importante de Mao à la philosophie marxiste se trouve dans la dialectique et en particulier en ce qui concerne la compréhension et l’application des contradictions. La compréhension et l’utilisation des contradictions apparaît à différents endroits et presque tout au long de l’analyse et des écrits de Mao. Son travail principal est De la Contradiction, qui est un essai sur la philosophie écrit en août 1937 par Mao après son ouvrage De la Pratique. Leur objet est le même : surmonter les sérieuses erreurs qu’un mode de pensée dogmatique avait apporté au Parti de l’époque. À l’origine, cet essai avait été présenté sous forme de deux conférences au Collège militaire et politique antijaponais à Yenan.

Le travail de Mao était en quelque sorte la continuation du travail de Lénine qui avait fait une étude particulièrement approfondie des contradictions. Lénine avait appelé la contradiction « le sel de la dialectique » et déclaré que « la division de l’Un et la connaissance de ses parties contradictoires est l’essence même de la dialectique ». Lénine, dans ses Cahiers Philosophiques, affirmait en outre que : « En bref, la dialectique peut être définie comme la doctrine de l’unité des contraires. Cela incarne l’essence même de la dialectique, mais cela demande des explications et du développement ».

Ces « explications et développement » furent réalisées quelque vingt ans plus tard par Mao. Son travail fut un grand pas dans la compréhension des contradictions. Il examina la question des contradictions avec beaucoup de détails et les clarifia de manière à les rendre facilement compréhensibles et facilement utilisables par tout le monde.

Tout d’abord, il affirma que la loi de l’unité des contraires est la loi fondamentale de la nature et de la société et donc aussi la loi fondamentale de la pensée.

Après cela, il expliqua le principe de l’universalité et de l’absoluité de la contradiction. Selon ce principe, la contradiction est présente dans tous les processus de chaque objet et de chaque pensée et existe dans tous ces processus du début à la fin.

Ensuite, il énonça le principe de la particularité et de la relativité de la contradiction. Selon ce principe, chaque contradiction et chacun de ses aspects ont leurs caractéristiques respectives.

Un concept très important présenté par Mao à cet égard concerne l’unité et la lutte entre les contraires dans une contradiction. Mao souligne que l’unité ou l’identité des contraires est conditionnelle ; elle est donc toujours temporaire et relative. D’autre part, la lutte des contraires est sans fin; c’est universel et absolu.

Un autre principe important, que Mao énonça et utilisa très souvent dans son œuvre, est la compréhension de la contradiction principale et de l’aspect principal d’une contradiction. Selon ce principe, il existe de nombreuses contradictions dans le processus de développement d’une chose complexe, et l’une d’entre elles est nécessairement la principale contradiction dont l’existence et le développement déterminent ou influencent l’existence et le développement même des autres contradictions. Par conséquent, si, dans n’importe quel processus, il existe un certain nombre de contradictions, l’une d’entre elles doit être la contradiction principale jouant le rôle premier et décisif, tandis que le reste occupe une position secondaire et subordonnée. Par conséquent, en étudiant tout processus complexe dans lequel il existe deux ou plusieurs contradictions, nous devons consacrer tous les efforts à trouver sa contradiction principale. Une fois que cette contradiction principale est saisie, tous les problèmes peuvent être facilement résolus.

De même, dans toute contradiction, le développement des aspects contradictoires est inégal. Parfois, ils semblent être en équilibre, mais cela est seulement temporaire et relatif, alors que le déséquilibre est fondamental. Parmi les deux aspects contradictoires, l’un se doit d’être principal et l’autre secondaire. L’aspect principal est celui qui joue le rôle principal dans la contradiction. La nature d’une chose est déterminée principalement par l’aspect principal d’une contradiction, l’aspect qui a gagné la position dominante.

Mao donnait toujours une importance capitale à la compréhension de la contradiction principale dans son analyse. Ainsi, dans son analyse de la société chinoise, il analysait toujours la contradiction principale. Il s’agissait d’un progrès par rapport à l’analyse marxiste-léniniste antérieure, qui ne portait pas particulièrement sur une analyse de la contradiction principale dans un pays ou une révolution. Mao affirma toutefois que si nous n’examinions pas deux aspects – les contradictions principales et non-principales mais aussi l’aspect principal et les aspects non-principaux d’une contradiction – nous nous perdrions dans les abstractions et serons ainsi incapables de comprendre concrètement la contradiction et par conséquent, de trouver la méthode correcte pour la résoudre. L’importance de comprendre la contradiction principale et l’aspect principal d’une contradiction vient du fait qu’ils représentent l’inégalité des forces qui sont en contradiction. Rien dans ce monde ne se développe de façon absolument uniforme et il faut donc comprendre le changement dans la position des contradictions principales et non-principales et les aspects principaux et non-principaux d’une contradiction. Ce n’est qu’en comprenant les différentes étapes de l’inégalité dans les contradictions et le processus de changement dans ces contradictions qu’un Parti révolutionnaire peut décider de sa stratégie et de sa tactique, tant dans les affaires politiques que militaires.

Enfin, Mao clarifia la question de l’antagonisme dans une contradiction. Selon Mao, l’antagonisme est une forme, mais pas la seule forme, de la lutte des contraires; la formule de l’antagonisme ne peut donc pas être arbitrairement appliquée partout. Certaines contradictions sont caractérisées par un antagonisme ouvert, d’autres ne le sont pas. Conformément au développement concret des choses, certaines contradictions, à l’origine non antagonistes, se développent en contradictions antagonistes, tandis que d’autres qui étaient initialement antagonistes se développent en contradictions non antagoniques. Les formes de lutte diffèrent selon les différences dans la nature des contradictions. Les contradictions non antagonistes peuvent être résolues par des moyens pacifiques et amicaux. Les contradictions antagonistes exigent des moyens non pacifiques.

Mao revint à la question des contradictions antagonistes et non antagonistes pendant la période de construction socialiste et pendant la Révolution culturelle. Il souligna que malgré la victoire de la révolution, il était faux de penser que les contradictions n’existaient plus dans la société chinoise. Il montra qu’il y avait deux types différents de contradictions encore existantes – les contradictions avec l’ennemi et les contradictions au sein du peuple. Les contradictions avec l’ennemi sont antagonistes et doivent être traitées par la suppression. D’autre part, les contradictions au sein du peuple qui ne sont pas antagonistes doivent être traitées de telle sorte qu’elles ne deviennent antagonistes. Mao soulignait toujours la nécessité d’une gestion correcte des contradictions. Il signala que si les contradictions n’étaient pas comprises et traitées correctement, il y avait toujours le danger de la restauration du capitalisme.