Dans le problème de la lutte des contraires est incluse la question de savoir ce qu’est l’antagonisme. A cette question, nous répondons que l’antagonisme est l’une des formes et non l’unique forme de la lutte des contraires.

Dans l’histoire de l’humanité, l’antagonisme entre les classes existe en tant qu’expression particulière de la lutte des contraires. Considérons la contradiction entre la classe des exploiteurs et celle des exploités : Ces deux classes en contradiction coexistent pendant une période prolongée dans la même société, qu’elle soit esclavagiste, féodale ou capitaliste, et elles luttent entre elles ; mais c’est seulement lorsque la contradiction entre les deux classes a atteint un certain stade de son développement qu’elle prend la forme d’un antagonisme ouvert et aboutit à la révolution. Il en va de même de la transformation de la paix en guerre dans la société de classes.

Dans une bombe, avant l’explosion, les contraires, par suite de conditions déterminées, coexistent dans l’unité. Et c’est seulement avec l’apparition de nouvelles conditions (allumage) que se produit l’explosion. Une situation analogue se retrouve dans tous les phénomènes de la nature où, finalement, la solution d’anciennes contradictions et la naissance de choses nouvelles se produisent sous forme de conflits ouverts.

Il est extrêmement important de connaître ce fait. Il nous aide à comprendre que, dans la société de classes, les révolutions et les guerres révolutionnaires sont inévitables, que, sans elles, il est impossible d’obtenir un développement par bonds de la société, de renverser la classe réactionnaire dominante et de permettre au peuple de prendre le pouvoir. Les communistes doivent dénoncer la propagande mensongère des réactionnaires affirmant par exemple que la révolution sociale n’est pas nécessaire et qu’elle est impossible ; ils doivent s’en tenir fermement à la théorie marxiste-léniniste de la révolution sociale et aider le peuple à comprendre que la révolution sociale est non seulement tout à fait nécessaire mais entièrement possible, que l’histoire de toute l’humanité et la victoire de la révolution en Union soviétique confirment cette vérité scientifique.

Toutefois, nous devons étudier d’une manière concrète les différentes situations dans lesquelles se trouve la lutte des contraires et éviter d’appliquer hors de propos à tous les phénomènes le terme mentionné ci-dessus. Les contradictions et la lutte sont universelles, absolues, mais les méthodes pour résoudre les contradictions, c’est-à-dire les formes de lutte, varient selon le caractère de ces contradictions : certaines contradictions revêtent le caractère d’un antagonisme déclaré, d’autres non. Suivant le développement concret des choses et des phénomènes, certaines contradictions primitivement non antagonistes se développent en contradictions antagonistes, alors que d’autres, primitivement antagonistes, se développent en contradictions non antagonistes.

Comme il a été dit plus haut, tant que les classes existent, les contradictions entre les idées justes et les idées erronées dans le parti communiste sont le reflet, au sein de ce parti, des contradictions de classes. Au début ou dans certaines questions, ces contradictions peuvent ne pas se manifester tout de suite comme antagonistes. Mais avec le développement de la lutte des classes, elles peuvent devenir antagonistes. L’histoire du Parti communiste de l’U.R.S.S. nous montre que les contradictions entre les conceptions justes de Lénine et de Staline et les conceptions erronées de Trotski [1], Boukharine et autres ne se sont pas manifestées d’abord sous une forme antagoniste, mais que, par la suite, elles sont devenues antagonistes. Des cas semblables se sont présentés dans l’histoire du Parti communiste chinois. Les contradictions entre les conceptions justes de nombreux camarades de notre Parti et les conceptions erronées de Tchen Tou-sieou, Tchang Kouo-tao [2] et autres ne se sont pas manifestées non plus, au début, sous une forme antagoniste, mais elles sont devenues antagonistes plus tard. Actuellement, les contradictions entre les conceptions justes et les conceptions erronées, au sein de notre Parti, n’ont pas pris une forme antagoniste, elles n’iront pas jusqu’à l’antagonisme si les camarades qui ont commis des erreurs savent les corriger. C’est pourquoi le Parti doit, d’une part, mener une lutte sérieuse contre les conceptions erronées, mais, d’autre part, donner pleine possibilité aux camarades qui ont commis des erreurs d’en prendre conscience. Dans ces circonstances, une lutte poussée à l’excès est évidemment inadéquate. Toutefois, si ceux qui ont commis des erreurs persistent dans leur attitude et les aggravent, ces contradictions peuvent devenir antagonistes.

Les contradictions économiques entre la ville et la campagne sont d’un antagonisme extrême tant dans la société capitaliste, où la ville, contrôlée par la bourgeoisie, pille impitoyablement la campagne, que dans les régions du Kuomintang en Chine, où la ville, contrôlée par l’impérialisme étranger et la grande bourgeoisie compradore chinoise, pille la campagne avec une férocité inouïe. Mais dans un pays socialiste et dans nos bases révolutionnaires, ces contradictions antagonistes sont devenues non antagonistes et elles disparaîtront dans la société communiste.

Lénine dit : « Antagonisme et contradiction ne sont pas du tout une seule et même chose. Sous le socialisme, le premier disparaîtra, la seconde subsistera » [3]. Cela signifie que l’antagonisme n’est qu’une des formes, et non l’unique forme, de la lutte des contraires, et qu’il ne faut pas employer ce terme partout sans discernement.


[1] L. Trotski (1879-1940), chef d’un groupe antiléniniste au sein du mouvement révolutionnaire russe qui devint par la suite membre d’une bande contre-révolutionnaire. Il fut exclu du Parti par le Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. en 1927, expulsé par le gouvernement soviétique en 1929 et privé de sa nationalité soviétique en 1932. Il mourut à l’étranger en 1940.

[2] Renégat de la révolution chinoise. Dans sa jeunesse, spéculant sur la révolution, il adhéra au Parti communiste chinois. Il commit dans le Parti un nombre considérable d’erreurs qui dégénérèrent en véritables crimes. Le plus connu fut celui de 1935, lorsque, s’opposant à la marche de l’Armée rouge vers le nord, il préconisa par esprit défaitiste et liquidationniste la retraite de l’Armée rouge vers les régions peuplées de minorités nationales, situées à la limite du Setchouan et du Sikang (province supprimée en 1955 et incorporée dans le Setchouan et la Région autonome du Tibet) ; en outre, il se livra ouvertement à une activité de trahison contre le Parti et son Comité central, forma un pseudo-Comité central et sapa l’unité du Parti et de l’Armée rouge, faisant subir de lourdes pertes au IVe Front. Cependant, grâce au patient travail d’éducation accompli par le camarade Mao Tsétoung et le Comité central du Parti, l’Armée rouge du IVe Front et ses nombreux cadres revinrent rapidement se mettre sous la juste direction du Comité central et jouèrent un rôle honorable dans les luttes ultérieures. Quant à Tchang Kouo-tao, il resta incorrigible : au printemps de 1938, il s’enfuit seul de la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia et devint un agent des services secrets du Kuomintang.

[3] V. I. Lénine : « Remarques sur le livre de N. I. Boukharine : L’Economie de la période transitoire » (mai 1920).