Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, Marx et Engels insistèrent toujours que toute philosophie doit être pratique et liée au monde réel. Cela fut exprimé de la plus claire des manières par Marx dans sa citation célèbre, « Jusqu’ici, les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer ». Par cela, Marx voulait dire qu’il ne fallait pas devenir un « philosophe » comme nos Onfray ou nos profs de fac qui restent assis dans leur fauteuil à écrire des livres illisibles sur les bienfaits de l’esprit. Il ne voyait pas l’intérêt de la réflexion et de la contemplation si elles n’étaient pas liées au monde concret. Sa quête fondamentale fut donc d’essayer de comprendre comment le monde changeait et ainsi de pouvoir participer à la pratique réelle de changer la société. Il s’intéressa pour ce faire à une philosophie applicable dans la pratique sociale.
Pour ce faire, Marx dû prendre position par rapport à la division fondamentale de toute philosophie – la division entre idéalisme et matérialisme. Cette division concerne une question fondamentale : qu’est-ce qui est primordial, l’esprit ou la matière ? Ceux qui se placent du côté de l’esprit appartiennent au camp de l’idéalisme tandis que ceux qui se placent du côté de la matière appartiennent au camp du matérialisme. L’idéalisme est toujours connecté d’une manière ou d’une autre à la religion. En tant qu’hommes de pratique absolument opposés aux croyances religieuses, il était tout à fait naturel que Marx et Engels établissent fermement le marxisme dans le camp matérialiste.
En faisant ceci, ils furent assurément influencés et aidés par les écrits de Feuerbach et d’autres philosophes matérialistes de l’époque. Cependant, ces philosophes étaient des matérialistes mécanistes qui comprenaient la nature et la société comme une machine qui tourne en rond sans aucun développement ou réel changement. Marx rejeta le matérialisme mécaniste parce qu’il ne permettait pas de comprendre les développements et les changements historiques.
Pour cela, Marx dû se tourner vers la dialectique, qui est la science des lois générales du mouvement. L’essence de la dialectique est qu’elle comprend les choses dans leurs inter-connexions et leurs contradictions. La dialectique était donc capable de fournir l’idée de mouvement et de développement que Marx savait nécessaire pour changer le monde.
À cette époque, la philosophie d’Hegel et les lois de la dialectique (que Marx étudia de façon approfondie) étaient les plus avancées en Europe. Mais Hegel avait développé ses lois philosophiques de manière idéaliste en ne les rendant applicables qu’au champ de la pensée. Il appartenait au camp de l’idéalisme et refusait de reconnaître que la nature et la réalité sociale étaient primordiales et que l’esprit et les idées étaient secondaires. Il n’acceptait donc pas que son système de pensée lui-même était un produit du développement de la société humaine à un stade déterminé. Il refusait de comprendre que ses lois elles-mêmes étaient le reflet des lois de la nature et de la société. Ainsi, comme le dit Marx, la dialectique idéaliste de Hegel se « tenait sur la tête », ce qui veut dire qu’elle était absurde et illogique. Marx la retourna, la mit « sur ses pieds », c’est-à-dire qu’il la rendit rationnelle en remettant le matérialisme à la base de la dialectique. Marx prit les lois de la dialectique de Hegel et leur donna une approche matérialiste. Il fit donc des lois de la pensée de Hegel des lois de la nature et de la société. Il formula à partir de celles-ci le matérialisme dialectique, qui est l’essence de la philosophie Marxiste.
En donnant à la dialectique sa base matérialiste et rationnelle, Marx la changea en une philosophie de la révolution. Marx et Engels appliquèrent le matérialisme dialectique à l’étude de la société et ils découvrirent ainsi la conception matérialiste de l’Histoire. La conception matérialiste de l’Histoire était un moyen nouveau et révolutionnaire de comprendre la société et le changement social. Elle expliquait les changements sociaux et les révolutions politiques non comme l’invention de quelques hommes brillants et de leurs cerveaux, mais comme le produit des processus dans la société. Cela montra à tous les révolutionnaires que le chemin vers le changement social se trouvait dans la compréhension de la société et dans la formulation des idées permettant d’apporter des changements en conséquence.
Le point de départ de la conception matérialiste de l’Histoire est le niveau de développement des forces productives matérielles, c’est-à-dire les outils, les machines, les compétences, etc. Marx explique qu’en fonction du niveau de développement des forces productives, on obtient des relations de production définies, c’est-à-dire des relations de propriété et de contrôle sur les moyens de production. Par exemple, des forces productives arriérées comme les moulins à vent, la charrue en bois et le travail animal engendrent des relations féodales tandis que des forces productives modernes comme des tracteurs et des moissonneuses, quand ils sont très répandus, font naître des relations de production capitalistes. Ces relations de production constituent la structure économique dans la société, ou la base économique de la société.
Sur cette base économique se dresse une superstructure juridique et politique avec des formes définies de conscience sociale. De plus, Marx dit que c’est le mode de production (qui rassemble les forces productives et les relations de production) qui conditionne la vie sociale, politique et intellectuelle en général. Ainsi, par exemple, le mode de production féodal donne lieu à une très forte oppression des femmes des basses castes ainsi à un système politique très antidémocratique. Le mode de production capitaliste, d’autre part, réduit l’oppression sociale et apporte certains droits démocratiques bourgeois.
À un certain stade du développement des forces productives, les relations de production existantes entrent en conflit avec elles et commencent à empêcher leur développement. Si ces relations de production ne sont pas modifiées, les forces productives ne peuvent pas se développer. Cette période où les relations de production commencent à agir comme des chaînes sur le développement des forces productives est le début de l’époque des révolutions sociales. La Révolution est nécessaire pour changer les relations de production, c’est-à-dire les relations entre les différentes classes de la société. Lorsque cela se produit et que les relations de production et de propriété sont brisées, c’est-à-dire quand la base économique est modifiée, alors le changement dans la superstructure toute entière suit assez rapidement.
La conception matérialiste de l’Histoire fut la première grande découverte de Marx, qu’il accomplit en 1844-45. C’était la fondation sur laquelle les autres grands piliers de la théorie marxiste furent construits.
Dans les années qui suivirent, Marx, Engels ainsi que les autres Enseignants marxistes continuèrent à développer la philosophie du prolétariat. Cependant, les principes de bases du matérialisme dialectique et historique mentionnés ci-dessus restent l’essence de cette philosophie.