Les travailleurs ont été abandonnés par leurs représentants syndicaux tout au long de la procédure de restructuration.

« C’est enfin terminé, il était temps ; on n’en pouvait plus ! » Voilà les mots que les travailleurs liégeois de FedEx-TNT se sont dits lors de l’annonce concernant le plan social du licenciement collectif.

Tout cela peut se comprendre par le fait que les travailleurs ont été abandonnés par leurs représentants syndicaux tout au long de la procédure de restructuration. Il est par exemple affligeant de constater que plus rien n’était affiché sur les supports d’informations de l’entreprise concernant le conseil d’entreprise (CE) et le comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT). Il incombe pourtant aux représentants des travailleurs siégeant au conseil d’entreprise de veiller à ce que les travailleurs soient tenus au courant de ce qui se passe au conseil d’entreprise. On comprend mieux la frustration et la colère des travailleurs du site liégeois.

Mais revenons sur les origines de cette colère pour ensuite essayer d’en tirer une conclusion.

Tout a commencé le 18 janvier lorsque les travailleurs ont appris dans les médias que l’entreprise FedEx-TNT décidait de lancer une réorganisation de ses infrastructures et de licencier 6300 travailleurs en Europe, dont 671 sur le site liégeois (sans oublier les 861 modifications de contrats et d’horaires).

Le motif de cette restructuration ? Voici une déclaration de Karen Reddington, la responsable de FedEx Express Europe : « Des changements (comme ceux présentés mardi) ne sont jamais faciles car ils ont un impact sur nos employés. Cependant, ils sont essentiels pour tirer parti des avantages de l’intégration et renforcer notre compétitivité dans un marché en évolution rapide ». Des propos que l’on ne peut que trouver scandaleux lorsque l’on sait que l’entreprise a fait des bénéfices, distribué des dividendes aux actionnaires et fera de lourdes économies sur le dos des travailleurs. « La réduction résoudra la duplication du maintien de deux réseaux de livraison européens et générera des coûts avant impôts pouvant atteindre 575 millions de dollars jusqu’à l’exercice 2023. […] Les coupes proposées, qui ont été présentées aux représentants des salariés, permettront de réaliser des économies annuelles pouvant atteindre 350 millions de dollars à partir de 2024. », a déclaré mardi FedEx dans un dossier réglementaire (https://www.bloomberg.com/…/fedex-plans-up-to-6-300-job…).

En réaction à l’annonce inattendue de mettre des familles à la porte de l’entreprise. Le président de la FGTB Métal Liège-Luxembourg, Thierry Grignard, a déclaré dans la presse « Il est hors de question qu’on licencie les travailleurs autrement qu’après une série de discussions qu’on aura au sein de l’entreprise. Notre travail, en tout cas aujourd’hui, c’est de diminuer un maximum le nombre de licenciements. Là, le politique, que ce soit au niveau régional ou fédéral, a un rôle à jouer pour ne pas laisser l’entreprise licencier alors que les discussions ne sont pas terminées. » « Si la situation n’évolue pas dans le bon sens, les syndicats pourraient se diriger vers d’autres investisseurs ? », lui a ensuite demandé le journaliste. « C’est trop tôt pour en parler car nous voulons donner priorité à la négociation pour sauver des emplois. Mais s’il n’y a pas d’accord, nous ferons en sorte d’attirer d’autres opérateurs. L’aéroport de Liège est reconnu comme l’un des meilleurs au monde en matière de transport. Si cela n’intéresse plus Fedex, nous irons voir ailleurs » (https://www.7sur7.be/…/les-syndicats-esperent…/…). Le même jour, les partenaires sociaux décidaient de faire une assemblée générale devant l’entreprise liégeoise tout en décrétant 48 heures de grève, sans omettre de dire aux travailleurs que le combat sera long et qu’il faudra tous être solidaires.

Alors quelle ne fut pas la surprise des travailleurs lorsqu’ils constatèrent que leurs deux jours de combat et de colère furent payés par l’employeur. Pourquoi ce geste philanthropique de la part de l’entreprise et pourquoi les partenaires sociaux l’ont-ils accepté ? Ces derniers n’ont-ils pas compris que la direction était déjà dans une stratégie consistant à maîtriser la colère collective grandissante ? Soit dit en passant, le verbe payer vient du mot latin pacare « faire la paix », dérivé de pax, pacis « paix » (d’où paix et peace en anglais), qui a pris en bas latin le sens moral de « satisfaire, apaiser », puis dans les langues romanes le sens plus concret de « donner de l’argent, pour satisfaire ou apaiser ». On sait bien que les bons comptes font les bons amis ! « Payer, c’est acheter la paix. »

Poursuivons. On a ensuite appris à travers les médias et via une assemblée générale des travailleurs qu’un accord était intervenu entre les organisations syndicales et l’entreprise Fedex-TNT. Selon cet accord, le nombre de licenciements secs se trouvait réduit de 671 à 157. Il prévoyait également une réduction du nombre de contrats impactés négativement (de 861 à 376) et une augmentation du nombre de contrats impactés positivement (de 211 à 335). Cet accord marquait la fin de la phase d’information et de consultation de la procédure Renault. Une bonne nouvelle qui a même été applaudie par le ministre libéral Jean-Luc Crucke.

C’est donc avec le plus grand étonnement que, le 8 juillet 2021, les travailleurs ont lu sur les panneaux d’information que le nombre de licenciements ne correspondait pas à la réalité et que 671 personnes devraient finalement bien partir de l’entreprise ! Une trahison des trois syndicats rouge, vert, bleu ; avaient-ils déformé et détourné la réalité ? Ou bien les partenaires sociaux ont-ils considéré qu’une personne qui est obligée de partir en prépension ou qui a donné sa démission ne fait pas l’objet d’un « licenciement » ? Quoiqu’il en soit, licenciement sec ou mouillé, cela reste une diminution du personnel profitable aux patrons, aux capitalistes dépourvus de sentiments.

Chacun peut ainsi se faire une idée de l’ambiance dans laquelle l’élaboration du plan social a débuté en septembre.

Les travailleurs sont unanimes : jusqu’en décembre, l’absence totale d’information faisait régner dans l’entreprise un silence assourdissant que seules les querelles entre syndicats venaient rompre. En effet, lorsque la CGSLB s’est retrouvée écartée des négociations, les travailleurs de tous bords se sont demandé pourquoi ce syndicat se faisait soudainement ostraciser. Soulignons ici le courage des affiliées de la CGSLB qui ont montré leur indignation face à cette éviction en posant et mettant à exécution un préavis de grève. La CGSLB est un syndicat minoritaire mais les travailleurs de la CGSLB ont pris leur courage à deux mains malgré les risques et les pertes salariales auxquelles ils s’exposaient. Quelle démonstration de courage lorsque l’on sait que la FGTB et la CSC n’arrêtent pas de dire que nous ne sommes pas capables de faire deux jours de grève car nous « risquerions de mourir de faim » ou de « ne pas être en mesure de payer nos crédits ». Bourdieu disait en 1998 : « Peut-on attendre que la masse extraordinaire de souffrance que produit un tel régime politico-économique soit un jour à l’origine d’un mouvement capable d’arrêter la course à l’abîme ? ». Est-ce que la FGTB est capable de représenter ce mouvement au vu de ses déclarations ? Certainement pas.

Nous voilà fin novembre, en situation de crise et de blocage. En effet, la direction internationale a refusé catégoriquement la proposition des partenaires sociaux soutenus par la direction locale de FedEx-TNT. Cette proposition consistait à diminuer les licenciements. Les syndicats pensaient qu’une collaboration avec la direction pouvait attendrir l’avidité des capitalistes… Loin s’en faut !

Ce n’est pas tout. Le blocage n’a duré que deux jours ; en effet, les syndicats nous disent qu’un préaccord aurait finalement été trouvé avec la direction. Mais deux remarques doivent être faites. D’abord, que peut bien contenir ce préaccord pour que les rapports avec la direction s’apaisent en si peu de temps ? On connait la pugnacité de la direction de FedEx-TNT ; il suffit de se souvenir de la violence du combat qu’elle a mené avec les syndicats italiens. Ensuite, ce préaccord ne concerne sans doute que les syndicats et la direction locale. Alors si la direction internationale refuse finalement, c’est retour à la case départ avec un nouveau blocage.

Les travailleurs souhaitaient évidemment connaître le contenu du préaccord. Mais pas si vite, leur ont dit les partenaires sociaux : « La direction n’est pas en situation matérielle de vous permettre de présenter le texte dans de bonnes conditions. Il faut trouver des projecteurs, des écrans et une sono de taille suffisante pour que tout le monde sache voir et entendre les détails de l’accord ». Quelle bonne excuse pour retarder le jugement des travailleurs ! Ceux-ci ont dû patienter jusqu’au 13 décembre. Ils ont alors eu trois jours pour se prononcer avec un vote oui ou non sur le document. C’est tout sauf démocratique (un vote digne d’un régime « macroniste »). En effet, ce délai est beaucoup trop court pour se forger une opinion éclairée ; il faut le temps de lecture, de réflexion et de discussion avec les collègues.

Concluons. On n’a jamais vu une entreprise capitaliste donner de l’argent aux travailleurs si ceux-ci ne se battent pas pour l’avoir. Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu (Bertolt Brecht). Est-ce que les travailleurs de Fedex ont le sentiment de s’être battus suffisamment et à la hauteur de leur colère ?