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Pour un marxiste, qui doit tenir compte des faits objectifs, des masses et des classes, et non des individus, etc., l’originalité indiquée plus haut de la situation réelle détermine nécessairement l’originalité de la tactique à suivre dans le moment présent.

Cette originalité met au premier plan la nécessité de « verser du vinaigre et du fiel dans l’eau sucrée des phrases démocratiques révolutionnaires » (selon l’expression si heureuse qu’a employée hier Téodorovitch, mon camarade du Comité central de notre Parti, au congrès des employés ouvriers des chemins de fer de Russie qui s’est tenu à Pétrograd). Travail de critique ; explication des erreurs commises par les partis petits‑bourgeois socialiste‑révolutionnaire et social‑démocrate ; préparation et groupement des éléments du parti prolétarien conscient, du parti communiste ; désintoxication du prolétariat en proie à la griserie « générale » petite‑bourgeoise.

Travail de propagande « et rien de plus », semblerait‑il. C’est en réalité un travail révolutionnaire éminemment pratique ; car on ne saurait faire progresser une révolution qui s’est arrêtée, grisée de phrases, et qui « marque le pas » non point à cause d’obstacles extérieurs, non point à cause de la violence qu’exercerait la bourgeoisie (Goutchkov ne fait encore que menacer de recourir à la violence contre la masse des soldats), mais à cause de l’aveugle crédulité des masses.

  C’est uniquement en combattant cette aveugle crédulité (qu’on ne peut et ne doit combattre que sur le terrain des idées, par une persuasion fraternelle, en invoquant l’expérience vécue) que nous pouvons nous dégager de l’emprise de la phraséologie  révolutionnaire déchaînée et stimuler  réellement la conscience prolétarienne aussi bien que la  conscience des masses, leur initiative, audacieuse et décidée dans chaque localité; stimuler la conquête, le développement et l’affermissement spontanés des libertés, de la démocratie, du principe de la possession de toute la terre par l’ensemble du peuple.

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Dans le monde entier, l’expérience des gouvernements de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers a mis au point deux procédés pour maintenir le peuple dans l’oppression. D’abord la violence. Nicolas Romanov Ier (Nicolas la Trique) et Nicolas II (le Sanguinaire) ont montré au peuple russe le maximum de ce qui est possible et impossible avec ce procédé de tortionnaires. Mais il est un autre procédé, qu’ont le mieux mis au point les bourgeoisies anglaise et française, « instruites » par toute une série de grandes révolutions et de mouvements révolutionnaires des masses. C’est celui du mensonge, de la flatterie, des belles phrases, des promesses sans nombre, des aumônes d’un sou, des concessions insignifiantes pour garder l’essentiel.

Ce qui fait l’originalité du moment actuel en Russie, c’est le passage à une allure vertigineuse du premier procédé au second, de la violence exercée sur le peuple aux flatteries et à sa mystification par des promesses. Comme le chat de la fable, Milioukov et Goutchkov écoutent et n’en font qu’à leur tête. Ils détiennent le pouvoir, défendent les profits du Capital, font la guerre impérialiste dans l’intérêt du capital russe et anglo‑français, et se bornent à répondre par des promesses, des déclamations, des phrases ronflantes, aux discours de « cuisiniers » comme Tchkhéidzé, Tsérétéli, Stéklov, qui menacent, exhortent, conjurent, supplient, exigent, proclament… Le chat écoute et n’en fait qu’à sa tête.

Mais le crédule aveuglement et l’aveugle crédulité s’effriteront chaque jour davantage, surtout chez les prolétaires et les paysans pauvres à qui la vie (leur situation économique et sociale) apprend à ne pas faire confiance aux capitalistes.

Les chefs de la petite bourgeoisie « se doivent » d’enseigner au peuple la confiance en la bourgeoisie. Les prolétaires se doivent de lui enseigner la méfiance.