Le 17 avril 1941


Camarades,

Bien que je sois souvent en contact avec la jeunesse, il m’est néanmoins difficile de me pénétrer des idées et des sentiments dont vous vivez. Et cela se conçoit, car une cinquantaine d’années ont passé depuis le temps où j’avais votre âge. Au cours de ces années, bien des souvenirs de jeunesse se sont envolés de ma mémoire, et les choses dont je me souviens vous paraîtront évidemment bien vieilles. Si on vous demandait comment vous vous représentez la vie de la jeunesse en ces années-là, vous seriez sans doute bien en peine pour répondre : c’était il y a si longtemps !

Et pourtant j’estime que la vie de la jeunesse d’il y a quarante ou cinquante ans présente, pour vous aussi, un certain intérêt. Sans prétendre la connaître à fond, avec tous ses défauts ; et toutes ses qualités, je voudrais vous tracer un tableau, même bien pâle, de la façon dont cette jeunesse vivait, de ses idées, des types dont elle se composait, des sentiments qu’elle éprouvait. Et vous parler surtout de la jeunesse ouvrière, parmi laquelle je vivais.

Il est vrai que j’étais aussi lié, plus ou moins étroitement, avec la jeunesse paysanne. Mais que vous dire de la vie de la jeunesse paysanne d’alors ? Je n’y vois rien d’intéressant ni d’instructif. Dans leur masse, jeunes gens et jeunes filles de la campagne étaient accablés par lie travail et les soucis domestiques. Bien sûr, la jeunesse ouvrière n’avait pas la vie douce, elle non plus ; mais elle avait pourtant certains avantages, du seul fait déjà que son horizon était infiniment plus vaste : elle pouvait voir et apprendre davantage. Tandis que la jeunesse paysanne ne voyait rien en dehors de ce qui intéressait son village, et savait fort peu de ce qui se faisait par delà ses barrières. Dès l’âge de 13 ou 15 ans, on l’attelait au travail. À 18-19 ans, la vie du jeune paysan était déjà définitivement tracée : il se mariait, se séparait de son père et faisait son nid comme il pouvait.

Je connaissais peu la jeunesse étudiante, tout en la rencontrant parfois. Mais rencontrer n’est pas encore connaître. Je la voyais en quelque sorte du dehors. Ajoutez à cela que pour moi, c’était une autre classe. Malgré tout, la lutte des étudiants n’était pas sans laisser de traces parmi la masse ouvrière. Avec la sympathie que nous portions à cette lutte, grandissait et s’affermissait notre sympathie pour la jeunesse étudiante.

Donc, quand je parle de la jeunesse d’autrefois, j’ai avant tout en vue la jeunesse ouvrière.

Qu’était la jeunesse ouvrière d’alors ? De quels types se composait-elle ? Qu’est-ce qui l’intéressait ? Quelles étaient les idées dont elle vivait, les pensées qui occupaient son esprit ?

Parmi la jeunesse ouvrière d’alors les types étaient assez divers, sans doute aussi divers que parmi vous.

Premier type. C’étaient ceux qui s’efforçaient par tous les moyens et par toutes les astuces de sortir du milieu ouvrier, de gagner davantage, de s’habiller mieux, d’acquérir un « vernis de culture », surtout dans le costume, d’entrer en relations avec les employés de l’usine, d’épouser leurs filles et, à la première occasion, de décrocher une place dans l’échelle administrative. Ils n’étaient certes pas nombreux parmi la masse de la jeunesse, et n’avaient aucun poids politique.

Autre type. C’étaient les bûcheurs qui étudiaient encore tout en travaillant, ou qui avaient fait des études et gagnaient leur vie de façon indépendante. En somme, ils ne songeaient qu’à bien gagner pour assurer le confort à leur famille et ne se souciaient que de leur bonheur personnel. Travailler et vivre dans le bien-être, tel était le cadre, jamais dépassé, de leurs préoccupations. Tout en étant beaucoup plus nombreux que les premiers, ils constituaient eux aussi une toute petite minorité.

On rencontrait parfois parmi la jeunesse ouvrière des mouchards et des lèche-bottes. Mais en très petit nombre, On pouvait les compter sur les doigts. Ceux-là s’efforçaient d’améliorer leur situation en se montrant serviles et en mouchardant. Ils étaient en rapport avec les contremaîtres, la police et la direction de l’usine. Les ouvriers ne pouvaient pas les souffrir. Ils étaient toujours l’objet du mépris général ; on ne les ménageait pas, et souvent on les rossait, tout simplement.

Mais le type caractéristique de la grande masse des jeunes ouvriers, c’était le type hostile au régime social et politique d’alors. Et c’est de ce type qu’étaient les vrais combattants révolutionnaires. Dans sa masse, la jeunesse ouvrière a toujours été le solide appui de notre Parti. Elle était en quelque sorte le détachement de combat des ouvriers, et lors des grèves et des protestations elle jouait le rôle le plus actif sous la direction des membres du Parti.

Pourtant, on ne peut dire que dès le début l’opposition de la classe ouvrière fut pleinement consciente. Il n’était pas rare qu’elle se manifestât spontanément, par exemple quand les ouvriers passaient à tabac les mauvais contremaîtres, parasites des patrons, les policiers, etc.

Avec le temps, sous l’influence de la propagande socialiste, des cercles illégaux furent créés parmi la jeunesse ouvrière. Dirigés par des intellectuels marxistes ces cercles étaient fréquentés par ceux qui avaient certaines lueurs de conscience sociale ; la situation de la classe ouvrière, les nombreuses questions de la vie sociale occupaient de plus en plus leurs réflexions. Ils lisaient avec avidité la littérature marxiste, se plongeaient dans la théorie du socialisme scientifique, travaillaient sérieusement à leur instruction, se développaient non seulement au point de vue politique, mais encore au point de vue culturel. Dans ces cercles, de vives discussions s’engageaient entre camarades sur les questions brûlantes de la vie politique aussi bien que sur les livres lus. Ainsi se formait la conscience de classe, la conscience socialiste des représentants les plus avancés de la jeunesse ouvrière.

Et il faut vous dire que les membres des cercles marxistes illégaux jouissaient de la plus grande autorité non seulement parmi la jeunesse, mais aussi parmi les ouvriers plus âgés. Leur activité avait beau être clandestine, elle était connue d’une grande partie des ouvriers qui les aidaient avec prudence à mener à bien telle ou telle entreprise révolutionnaire.

Extérieurement, nous ne nous distinguions guère des autres ouvriers. Comme nos jeunes camarades, nous fréquentions les cafés et les bistrots, et parfois même, rentrant tard du travail, nous nous glissions dans quelque verger, non par envie irrésistible de manger des pommes, mais par pure espièglerie et pour montrer que nous n’avions pas peur. Dans un jardin situé près de l’usine Poutilov, — je m’en souviens comme d’hier — il y avait un gardien dont le fusil était chargé de sel. Comment ne pas y pénétrer si on risquait, en tout et pour tout, de recevoir une charge de sel ! (Rires.)

Nous fréquentions tes soirées organisées en commun, nous avions des rendez-vous avec les jeunes filles, nous nous amusions. Et il nous arrivait, quand nous allions au parc, d’en escalader la clôture. (Rires.) N’allez pas croire que nous n’avions pas les 10 copecks nécessaires pour payer l’entrée. Nous avions de l’argent, nous gagnions notre vie, nous pouvions payer 10 copecks. Mais escalader la clôture, c’était courir un certain risque : le risque de se faire attraper et d’être chassé du parc « en triomphe ». Alors, comment ne pas le faire ? (Rires.) Nous escaladions les clôtures et nous faisions la cour aux jeunes filles. Tout comme vous aujourd’hui, sans doute. J’ignore évidemment comment vous vous y prenez, mais je crois que tout se passe comme il y a 40 ou 50 ans. Et que sous ce rapport les choses n’ont guère changé. (Rires.)

Ainsi donc, en apparence, nous vivions comme tout le monde. Et si quelqu’un nous avait observés, il n’aurait rien pu remarquer de spécial.

Pourtant, nous nous distinguions des autres jeunes ouvriers. En quoi ? En ceci que chez nous, les préoccupations ordinaires étaient peu à peu refoulées à l’arrière-plan par les préoccupations relatives à l’intérêt général des ouvriers. La fréquentation des cercles illégaux et la lecture des livres révolutionnaires élargissaient notre horizon politique, mettaient dans notre vie un contenu idéologique. Jusque-là, nous avions considéré les cas d’arbitraire criants dont nous étions les témoins à l’usine comme des faits isolés ; maintenant, nous commencions à y voir tout un système d’oppression de la classe ouvrière pratiqué non seulement par la direction de l’usine et les entrepreneurs, mais aussi par l’autocratie.

Extérieurement, rien ne semblait changé : nous fréquentions les jeunes filles, nous avions des rendez-vous, nous dansions aux soirées et, bien entendu, nous flirtions. (Rires.) Mais nous avions en tête quelque chose de plus que le « bien-être américain » tel que nous le montraient les romans. Nous songions sans cesse au travail social, et fréquentant les soirées, nous cherchions le moyen de les utiliser dans des buts révolutionnaires.

C’est ainsi que peu à peu et pour ainsi dire insensiblement, nous pénétrions dans une vie qu’éclairait une idée : la plus grande, la plus intéressante des vies ! Et c’est en quoi nous différions des autres jeunes ouvriers avec qui nous étions toujours en contact étroit et sur lesquels nous nous appuyions sans cesse dans notre activité révolutionnaire.

Il va sans dire qu’il nous était beaucoup plus difficile qu’à la jeunesse soviétique d’aujourd’hui, et notamment aux élèves des classes supérieures des écoles moyennes, de nous inspirer dans notre vie de hautes idées. Et cela se conçoit parfaitement.

Tout d’abord, nous ne fréquentions pas les gymnases, l’instruction secondaire n’étant pas à notre portée. Et beaucoup d’entre nous n’avaient même pas eu le bonheur de pouvoir terminer l’école primaire. Par conséquent, à cet égard, vous êtes bien au-dessus de la jeunesse ouvrière d’alors, et pour cette raison déjà, vous avez plus de possibilités qu’elle n’en avait de vivre une vie consacrée à une idée.

Ensuite, les ouvriers que guidait une idée et dont la conscience de classe avait parlé subissaient toutes sortes de persécutions : ils étaient chassés de l’usine, arrêtés, déportés, etc. C’est dire que nous ne pouvions donner forme à nos idées que dans l’illégalité. Et celui qui voulait alors vivre une vie consciente, se développer politiquement, agir dans l’intérêt de la classe ouvrière et de son peuple et suivre la voie du progrès, n’avait devant lui que cette route étroite, semée de ronces, où seuls quelques-uns pouvaient s’engager. Alors qu’aujourd’hui, si vous avez le même désir, des espaces absolument illimités vous sont ouverts, toutes les conditions nécessaires vous sont offertes, vous n’avez qu’à travailler !

Vous me demanderez peut-être si je ne regrettai pas, à l’époque, d’avoir choisi cette voie ; je vous répondrai que pour un homme qui aspirait à vivre une vie noble, et non cette vie étroite, philistine, dont le seul but est d’assurer son propre bien-être purement petit-bourgeois, pour un homme qui voulait que sa vie soit réellement bonne et intéressante, c’était la seule voie possible. J’ai l’air de ne vous parler que de moi. Mais non, nous étions nombreux, et tout ce que je vous ai dit concerne également des centaines d’autres qui avaient subi le même développement et concevaient la vie comme je la concevais moi-même. J’ai seulement eu de la chance, puisque je suis ici à vous parler, alors que la plupart de ceux qui avaient mon âge sont sans doute morts depuis longtemps.

Ainsi donc, une vie que guide une idée, une vie pleine de préoccupations sociales, toute orientée vers le but fixé est la meilleure, la plus intéressante des vies qui soit sur terre. Et j’en veux citer pour exemple toute la vie du camarade Staline. (Applaudissements prolongés.)

Vous me direz peut-être : « Oui, la vie du camarade Staline est en effet le modèle d’une vie noble et animée de hautes idées. Mais nous sommes des hommes ordinaires, et vous nous parlez d’un grand homme, de notre chef. » Mais ne devons-nous pas apprendre à vivre et à travailler en nous inspirant de nos éducateurs, de nos chefs, de Lénine et de Staline, capables non seulement de comprendre et d’exprimer mieux que tous les autres les besoins du développement social de l’époque, mais encore de les satisfaire mieux que tous et de la façon la plus juste ?

Vivre une vie noble, une vie d’idée, c’est vivre des préoccupations sociales de la classe la plus avancée et la plus progressive de son temps, et à l’heure actuelle, vivre des préoccupations du peuple soviétique, de la patrie socialiste. Si vous vivez de ces préoccupations-là, si toutes vos pensées ont pour but d’élever plus encore votre peuple, d’augmenter plus encore la puissance économique et militaire de votre pays, si vous consacrez tout votre effort à la lutte pour la victoire complète du communisme et si cette grande idée domine votre conscience, je ne doute pas que vous viviez en effet une grande et belle vie.

Camarades, c’est le propre de la jeunesse de tous les temps et de toutes les générations de s’abandonner aux rêveries et à la fantaisie. Ce n’est pas un vice, c’est une qualité précieuse. Aucun homme actif et normal ne peut se passer de fantaisie. Mais chez les jeunes, ce penchant peut être beaucoup plus développé que chez les adultes. Dans le temps, nous avions nous aussi une imagination féconde et variée. Chacun de nous rêvait à sa manière, qui correspondait à son état d’esprit général et au niveau de son développement. Mais bien entendu les limites de notre fantaisie, son « plafond » pour ainsi dire, ne sauraient être comparés aux limites, au « plafond » de la vôtre. Et pourtant, comme vous l’avez vu, de très nombreux représentants de la jeunesse ouvrière d’alors étaient sérieusement pris par des rêves de vie meilleure, plus rationnelle. En cela, je crois que nous vous ressemblions beaucoup.

J’avais, personnellement, beaucoup de fantaisie. Ainsi, quand j’avais une quinzaine d’années je rêvais d’être marin. Je ne travaillais pas encore à l’usine. Pour me préparer à la rude vie du marin, je dormis pendant trois mois à même le plancher. Je voulais m’endurcir, et j’allais répétant : Un marin ne dort pas dans un lit ! (Rires.)

Je crois que vous avez, vous aussi, des fantaisies du même genre. Vous êtes des élèves de 9e et de 10e . Vous avez justement l’âge où l’on est travaillé par l’imagination, où on désire faire quelque chose de grand. Et il est bon qu’il en soit ainsi ! Quels jeunes Soviétiques feriez-vous si vous ne rêviez pas d’une vie grande, si chacun de vous n’aspirait à transporter les montagnes ou à retourner la terre à l’aide du levier d’Archimède ? (Rires.)

Mais comme je l’ai déjà dit, il vous est plus facile qu’à nous autrefois de mener la lutte pour une vie plus noble. Si vous me demandez que faire, pratiquement, pour vous engager dans cette voie, je répondrai : pour le moment, tout ce qu’on exige de vous, car vous êtes encore sur les bancs de l’école, c’est que vous posiez en quelque sorte les fondements de cette vie, c’est que vous possédiez à fond trois disciplines inscrites à votre programme. Rien que trois ! Vous voyez que je suis modeste. (Rires.)

Avant tout, il faut que vous sachiez bien le russe. J’estime que la connaissance du russe est un facteur extrêmement important dans le développement général de l’homme. Car toutes les sciences que vous pouvez avoir à étudier, surtout si vous faites vos humanités, toutes les sphères de l’activité sociale exigent une bonne connaissance du russe. Et même dans la vie de tous les jours, cette connaissance est indispensable pour exprimer correctement et exactement ses pensées, ses sentiments, ses impressions les plus profondes. Car si on veut communiquer tout cela aux autres, on doit le faire en des propositions correctement construites, au point de vue de la syntaxe aussi bien que de la grammaire.

Vous entendez souvent, je crois, vos camarades qui disent : « Je comprends la matière et je la connais bien, mais je n’arrive pas à l’exposer. » (Rires.) Et pourquoi n’arrivent-ils pas à l’exposer ? Mais parce qu’ils ne possèdent pas leur langue maternelle ! Figurez-vous un jeune homme écrivant une lettre à sa bonne amie. Admettez que cela se passe il y a cinquante ans. Voici ce qu’il écrit : « Ma chérie, je t’aime infiniment. (Rires.) Mes sentiments sont si vastes que je n’arrive pas à les exprimer. Je ne trouve pas les mots. » (Rires.) Bien entendu, une jeune fille simple et naïve dira : « Comme c’est beau ! » (Rires.) Mais si la jeune fille n’est pas simple et naïve, si au contraire elle est instruite ? Je suis convaincu qu’elle dira : « Pauvre garçon, ta tête est bien petite ! » (Rires, applaudissements.)

L’étude de la langue maternelle est très importante. Les plus hautes réalisations de l’esprit humain, les connaissances les plus profondes et les sentiments les plus vifs resteront inconnus, s’ils ne sont pas clairement et exactement formulés à l’aide de mots. Le langage est un instrument qui sert à exprimer la pensée. Et la pensée ne devient pensée que lorsqu’elle est exprimée par des mots, quand elle s’extériorise au moyen du langage, quand elle est, comme diraient les philosophes, rendue médiate et objectivée pour autrui. C’est pourquoi je dis que la connaissance de la langue maternelle est essentielle pour vos travaux ultérieurs.

La deuxième matière qui vous est, selon moi, absolument nécessaire, ce sont les mathématiques.

Pourquoi mettre ainsi les mathématiques en avant ? Pourquoi les considérer comme une science tellement importante, précisément dans les conditions actuelles et précisément pour vous, pour la jeunesse soviétique qui fréquente les écoles ?

Premièrement, les mathématiques disciplinent l’esprit, l’habituent au raisonnement logique. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que les mathématiques sont la gymnastique de l’esprit. Vous devez avoir la tête pleine de pensées, pleine à se rompre (rires), mais ces pensées, il faut les ordonner, les discipliner, les canaliser, si je puis m’exprimer ainsi, pour un travail utile. Et les mathématiques vous y aideront. Mais cet argument concerne surtout les hommes de science et je ne crois pas qu’il puisse vous inciter fortement à étudier les mathématiques.

Deuxièmement, et cela vous touchera peut-être davantage, le champ d’application des mathématiques est énorme. Quelle que soit la science que vous étudierez, quel que soit l’Institut où vous entrerez, quel que soit le domaine où vous travaillerez, si vous voulez y laisser une trace, la connaissance des mathématiques est partout nécessaire. Qui d’entre vous ne rêve pas aujourd’hui de devenir marin, aviateur, artilleur, ouvrier qualifié dans telle ou telle industrie, constructeur, métallurgiste, ajusteur, tourneur, etc., agronome, éleveur, horticulteur expérimenté, etc., ingénieur des chemins de fer, mécanicien de locomotive, employé de commerce, etc. ? Mais toutes ces professions exigent une bonne connaissance des mathématiques. Donc, si vous voulez participer à une vie vraiment grande, étudiez les mathématiques tandis que vous en avez la possibilité. Elles vous seront plus tard d’un grand secours dans tout votre travail.

Un exemple. Un des plus grands oculistes de Moscou m’a dit qu’un oculiste qui connaît mal la physique est un mauvais oculiste. Je ne lui ai pas demandé quel domaine de la physique il avait en vue, mais ce devait être l’optique. Or, l’optique se compose presque exclusivement de formules mathématiques. Ai-je raison ? Oui, ou à peu près. (Rires.) Vous voyez donc que les mathématiques seront également nécessaires à ceux d’entre vous qui étudieront la médecine.

La troisième discipline que je considère comme extrêmement importante, c’est… mais je crains de vous étonner beaucoup, et qui sait, vous ne serez peut-être pas tout à fait d’accord avec moi ? Il faut pourtant que je vous le dise. Si je ne réussis pas à vous convaincre tout à fait, j’essaierai du moins de vous faire réfléchir à l’importance de cette discipline. Et si après cela votre pensée travaille dans ce sens, j’estime que j’aurai atteint mon but. Quelle est donc cette discipline ? C’est la culture physique. (Rires, applaudissements.) Je vois que certains se réjouissent, et c’est sans doute parce que je n’ai pas nommé d’autre discipline exigeant un grand effort mental.

Pourquoi placer la culture physique sur le môme rang que le russe et les mathématiques ? Pourquoi la considérer comme une des matières essentielles d’enseignement et d’éducation ?

Tout d’abord parce que je veux que vous soyez tous des citoyens soviétiques bien portants. Si nos écoles forment des gens aux nerfs détraqués et à l’estomac malade (rires), ayant besoin d’aller se soigner tous les ans dans des stations de cure, qu’auront-elles fait de bon ? Il sera bien difficile à ces gens-là d’être heureux dans la vie, car, comment être heureux si l’on n’est pas fort et résistant ? Nous devons préparer une relève solide : des hommes et des femmes bien portants.

Deuxièmement, j’ai nommé la culture physique, parce que je veux que notre jeunesse soit adroite et robuste. Tout le monde ne naît pas fort, adroit et endurant. Il en est qui ont dès leur naissance ce qu’on appelle une santé de fer ; ils résistent aux pires conditions de vie. En parlant d’un homme solide, on dit : il est fort comme un bœuf. Mais ces gens-là sont peu nombreux. Et les autres doivent développer et consolider leur santé. Cela est encore plus vrai en ce qui concerne l’habileté et l’endurance : l’une et l’autre s’acquièrent.

L’exemple de Souvorov montre jusqu’à quel point on peut développer son endurance par l’entraînement. Je vous le cite parce que vous avez sûrement vu le film qui lui a été consacré. Vous vous rappelez ? C’était un enfant si faible que ses parents ne songeaient même pas à le destiner à la vie militaire. Mais il sut si bien s’aguerrir qu’il devint finalement un des hommes les plus solides de son époque et vécut, si ma mémoire est bonne, jusqu’à l’âge de 70 ans. C’est bien ainsi ? Car c’est vous qui devez connaître l’histoire, et non moi. (Rires.)

Nous voulons donc que les hommes soviétiques, et avant tout la jeunesse des écoles, soient adroits et résistants comme Souvorov. Et le plus petit succès atteint dans ce domaine doit être considéré comme une grande réalisation de l’Etat soviétique. Je vous recommande de lire Combats en Finlande. C’est un très gros livre, en deux volumes. J’ai demandé à un professeur de ma connaissance s’il fallait vous le recommander ; il m’a répondu que non, qu’il était trop gros, que de toute façon vous ne le liriez pas. Comme c’est un professeur, il vous connaît bien. Il m’a proposé pour vous d’autres ouvrages, également consacrés aux batailles de Finlande, mais beaucoup moins gros. Je vous recommande malgré tout Combats en Finlande, persuadé que si vous l’ouvrez vous irez nécessairement jusqu’au bout, tant il est intéressant et instructif.

Et qu’est-ce qui fait l’intérêt de cet ouvrage ? C’est qu’au lieu de donner simplement un aperçu général de la guerre, il est traversé d’un bout à l’autre par l’idée que la guerre moderne exige une connaissance parfaite de l’art militaire, une assimilation profonde de la nouvelle technique de guerre, une extrême tension des forces physiques, un travail prodigieux, de l’endurance et encore de l’endurance, une adresse inouïe, de l’initiative, et la capacité de s’orienter dans les conditions les plus complexes de la bataille. Sans tout cela, impossible de faire la guerre aujourd’hui. Or, vous devez vous préparer avec zèle à remplir votre premier devoir, votre devoir sacré de patriotes soviétiques. Et pour cela, il faut avant tout que vous vous trempiez physiquement, que vous possédiez la santé, l’adresse et l’endurance.

Mais la culture physique vous est encore indispensable pour la vie pratique. Quel bonheur peut éprouver un homme qui souffre d’un ulcère à l’estomac ? (Rires.) Si votre santé est bonne, si votre organisme fonctionne normalement, si vous avez bon appétit, si vous ne souffrez pas d’insomnie, etc., — il vous sera bien plus facile de supporter les déboires de la vie. Or, pour être bien portants, pour vous assurer plus de joie, vous devez faire de la culture physique.

Il me semble que dans nos écoles on intellectualise trop les élèves. J’entends par là qu’on les efféminé en quelque sorte, qu’on ne leur apprend pas à apprécier le travail manuel. Je ne puis dire au juste à qui en est la faute, mais le fait est là. Sans doute faut-il y voir, jusqu’à un certain point ; l’effet des survivances d’autrefois en ce qui concerne le travail manuel, et peut-être la famille est-elle la première coupable. Mais l’école ne combat point cet effet comme elle devrait le faire ; elle n’apprend pas assez aux élèves à avoir une attitude communiste vis-à-vis du travail manuel. C’est pourquoi tant d’enfants s’y adonnent à contrecœur et le considèrent comme quelque chose de honteux et d’humiliant. A mon avis, c’est là une erreur très grave. Chez nous, tout travail est à l’honneur. Il n’existe pas de catégories de travail inférieure et supérieure. Dans notre pays le travail est une affaire de dignité, de gloire, de vaillance et d’héroïsme, qu’il s’agisse du travail du maçon ou du savant, du concierge ou de l’ingénieur, du charpentier ou du peintre, de la porchère ou de l’actrice, du tractoriste ou de l’agronome, du vendeur ou du médecin, etc.

Tout jeune homme soviétique doit apprécier le travail manuel ; il ne doit fuir aucun des travaux les plus simples. Ceux d’entre vous qui auront l’habitude du travail manuel connaîtront mieux la vie ; ceux qui sauront faire, pour eux-mêmes tout au moins, le strict nécessaire : laver et repriser le linge, préparer à manger, tenir une pièce propre, etc., ceux qui connaîtront un métier quelconque, se débrouilleront toujours, soyez-en bien persuadés.

J’ai eu l’occasion de lire le Traité de l’éducation des enfants du célèbre philosophe anglais John Locke, qui vivait il y a plus de 250 ans. S’adressant aux classes dominantes d’Angleterre, il leur disait : N’habituez pas vos enfants à dormir dans les lits de plumes ; élevez-les de manière que n’importe quelle couche leur soit bonne. Car en voyage on ne peut traîner sa literie avec soi, — et d’autant moins à la guerre ; si un jeune gentleman s’habitue à dormir sur la dure, il n’aura pas besoin d’apprendre à dormir sur un bon matelas : c’est une chose à laquelle on s’habitue rapidement. John Locke recommandait en outre aux parents d’apprendre à leurs enfants plusieurs métiers, dont un parfaitement. Car, disait-il, cela vint toujours à point et peut être utile même aux gens très instruits lorsqu’ils veulent se reposer d’un travail intellectuel intense. Et cela sera encore bien plus utile si le sort vous joue un mauvais tour.

Comme vous le voyez, à l’époque où grandissait la puissance de l’Angleterre, les idéologues des classes exploiteuses leur conseillaient d’apprendre à leurs enfants à apprécier le travail manuel, à ne point se dérober aux travaux les plus simples, à se préparer à toutes les conditions de vie. Et cela, pour affermir davantage encore la domination des exploiteurs.

Si les enfants des capitalistes et des landlords anglais prêtaient l’oreille à cette propagande en faveur du travail manuel, s’ils ne dédaignaient pas de se livrer aux travaux les plus simples et s’efforçaient de s’aguerrir afin de mieux supporter toutes les épreuves de la vie, notre jeunesse, la jeunesse soviétique, doit d’autant mieux comprendre combien cela est nécessaire. Mais où et comment pouvez-vous prendre part au travail manuel ? Avant tout à la maison. Et développez en outre de toutes les manières votre endurance et votre adresse.

On nous demande souvent : que sera l’homme communiste de demain ? Je souhaite pour ma part que l’homme soviétique soit bien portant, vigoureux, endurant et implacable envers les ennemis de notre patrie, qu’il sache se battre magnifiquement pour son peuple, pour la victoire complète du communisme. Je n’admets pas l’idée que dans sa masse notre jeunesse ne veuille pas se battre. Cela ne serait pas naturel. Ai-je raison ? (Des voix : « C’est vrai, c’est vrai ! ») Je sais bien que les hommes ne sont pas tous les mêmes. Mais je parle de la masse. Donc, il faut que vous deveniez des hommes vigoureux, adroits, résistants, capables de supporter toutes les épreuves et de surmonter toutes les difficultés.

Et maintenant voyez vous-mêmes ce que valent des gens comme ceux dont il a récemment été question dans la Pravda, dans L’article intitulé « Jeunes fainéants ». Après un entretien avec Victor N., 18 ans, au kolkhoz « Oguépéou », le correspondant écrit : « Fils de kolkhozien, Victor a terminé ses sept classes depuis deux ans. Et à présent il ne fait rien ; il reste à la maison, où, m’a-t-il déclaré, il « prend des forces ». Comme je lui demandais pourquoi il ne travaille pas au kolkhoz, il a fait la grimace. « Si j’ai terminé sept classes, m’a-t-il répondu, ce n’est pas pour aller travailler au kolkhoz ! C’est bon pour Andriouchka-le-boiteux ; moi; je me trouverai un travail plus propre : je peux entrer dans un bureau !… »

Quand j’ai lu cet article, je me suis dit que ce Victor N. est un bel ignare, sans compter le reste. S’il ne fait rien depuis deux ans qu’il a terminé ses études, il faut croire qu’à l’école il ne faisait pas grand’chose non plus ; que c’est tout juste s’il passait d’une classe à l’autre et que par conséquent son instruction laisse beaucoup à désirer. Alors, comment peut-il songer à travailler dans un bureau ? Et puis, est-ce que nos kolkhoz n’ont pas besoin de gens instruits ? Et est-il possible aujourd’hui de s’occuper d’agriculture sans connaître les sciences ? Il va sans dire que nous ne pouvons être d’accord avec une telle « philosophie ». C’est une « philosophie » néfaste, qu’il faut combattre énergiquement. Il ne faut pas que de nos écoles sortent des gens de cette espèce. Le peuple soviétique ne peut accepter les fainéants. Nous avons fait la révolution pour renverser les désœuvrés et les parasites, et voilà que grandiraient de nouveaux désœuvrés, de nouveaux parasites ? Non, cela est inadmissible, et ici l’école a sa part de responsabilité.

Camarades, en vous parlant du russe, des mathématiques et de la culture physique, je n’ai point voulu diminuer l’importance des autres matières d’enseignement, et par conséquent, n’allez pas en déduire que vous puissiez les négliger. Si je me suis arrêté à celles-là, c’est uniquement parce que je les considère comme une base qui vous aidera à vous assimiler toutes les autres matières et vous permettra d’accéder à une vie plus grande. Je suis convaincu que si vous possédez parfaitement ces trois matières fondamentales, vous réussirez pleinement dans toutes les autres, car il existe entre elles un lien fort étroit.

Camarades, ridée essentielle, dans tout ce que je tenais à vous dire, n’est pas nouvelle en soi. Mais j’ai voulu vous rappeler, et jusqu’à un certain point illustrer, la directive du camarade Staline quand il disait à la jeunesse :

Pour bâtir, il faut savoir, il faut posséder la science. Et pour savoir, il faut apprendre. Apprendre patiemment, avec persévérance.

Mais peut-être cette illustration n’est-elle pas tout à fait heureuse : peut-être son opportunité sera-t-elle contestée par ceux qui s’y entendent mieux que moi en matière de pédagogie.

Pour conclure, permettez-moi de vous dire qu’à différentes périodes historiques correspondent différentes tâches progressives à la réalisation desquelles les meilleurs éléments du peuple appliquent leur effort. Ainsi, aux années 40 et 50 du siècle dernier, la tâche progressive essentielle était d’affranchir les paysans du servage. Et nous savons que tous les hommes honnêtes et avancés de l’époque ont lutté, directement ou indirectement, pour la réaliser. A la fin du siècle passé et au début du XXe siècle, une nouvelle tâche progressive était à l’ordre du jour : il s’agissait alors de renverser le tsarisme et le pouvoir du capital, d’accomplir la révolution prolétarienne et de réorganiser la société sur des bases socialistes. A l’heure actuelle, là tâche la plus progressive, c’est de renforcer le socialisme et d’édifier le communisme. Son caractère progressif est évident non seulement pour les hommes soviétiques, mais encore pour les travailleurs dû monde entier. Pour la réaliser, il faut avant tout renforcer par tous les moyens la puissance économique et militaire du pays des Soviets. Je voudrais que notre jeunesse prenne bien conscience de cette tâche grandiose et en fasse le but de son existence. Ainsi seulement vous remplirez votre vie d’un contenu idéologique profond.

Le marxisme-léninisme est notre arme dans la lutte pour le communisme, pour la réalisation de tous les idéaux communistes. Cette doctrine et sa méthode sont un puissant instrument pour l’activité pratique et scientifique. Et quiconque aspire à une vie plus grande et plus claire doit connaître à fond le marxisme-léninisme. Or notre jeunesse ne peut manquer d’aspirer à cette vie.

Le camarade Staline a dit :

Les jeunes, c’est notre avenir, notre espoir, camarades. Les jeunes doivent nous remplacer, nous, les vieux. Ils doivent porter notre drapeau jusqu’à la victoire finale… Il est vrai qu’ils manquent de savoir. Mais le savoir est chose qui s’acquiert. Qui ne l’a pas aujourd’hui l’aura demain. C’est pourquoi la tâche est d’étudier et d’étudier encore le léninisme.

Camarades, vous êtes aujourd’hui dans une période de devenir. J’ignore si vous comprenez ce terme trop philosophique. Autrement dit, vous vous trouvez en cette période de développement où les jeunes gens que vous êtes, en qui dominent la fantaisie, l’audace, une bravoure effrénée, deviennent des hommes mûrs. Mais vous n’êtes pas encore devenus des hommes mûrs, vous n’avez pas définitivement choisi votre voie. Vous ne faites que l’entrevoir. Il y a cinquante ans, il nous était plus facile de nous décider, parce que nous n’avions devant nous qu’un sentier étroit. Et ceux qui bronchaient, roulaient infailliblement dans le marais du philistinisme. Mais aujourd’hui un nombre infini de chemins pratiques vous sont ouverts. Et vous êtes en train de choisir. Avec le temps, vous deviendrez marins, cheminots, artilleurs, tankistes, aviateurs, ingénieurs, ajusteurs, tourneurs, constructeurs, savants, artistes, médecins, en un mol vous deviendrez des travailleurs des différentes branches du travail manuel et intellectuel.

Et je voudrais qu’en cette période de devenir, domine en vous, comme elle dominait en nous il y a 50 ans, l’aspiration à une activité sociale consciente ; je voudrais que servir le grand peuple soviétique et mener jusqu’au bout l’œuvre de Lénine et de Staline deviennent le but de votre existence. Si vous poursuivez fermement ce but, si vous arrivez à lui subordonner tout le reste, je suis certain, camarades, que le bonheur et la joie de la vie vous seront assurés. (Vifs applaudissements. Tous se lèvent.)

Revue Sména, n° 6, 1941.