Le 11 mars 1926


Vous remarquez que le Comité central du Parti et notre pouvoir des Soviets accordent au congrès du Komsomol plus d’attention qu’à tout autre congrès. Pourquoi cela ?… Tout d’abord, bien entendu, parce qu’en même temps que le Komsomol grandit la principale richesse de notre pays. Le Komsomol, c’est la relève qui demain remplacera les vieux combattants pour le socialisme. Le Komsomol, c’est le détachement d’avant-garde de la jeunesse prolétarienne et paysanne ; c’en est l’élite.

Aussi les aspirations et les idéaux qui sont plus particulièrement propres à la jeunesse doivent, à ce qu’il me semble, grandir et se développer dans le Komsomol plus encore qu’ailleurs.

Qu’est-ce qui est surtout propre à la jeunesse, aux jeunes gens ? Qu’est-ce qui distingue un komsomol d’un adulte ordinaire, de moi par exemple ? Extérieurement, je me distingue de vous par ma barbe blanche. Mais ce n’est là qu’une différence extérieure. S’il n’existait que des différences extérieures, on n’aurait pas besoin du Komsomol comme organisation à part. Le Komsomol se distingue encore par des qualités morales particulières.

La première qualité qui distingue surtout le Komsomol, c’est une réceptivité particulière, exceptionnelle. Les komsomols ne s’en rendent pas très bien compte, mais nous, qui sommes des adultes, quand nous évoquons le passé, nous savons que les souvenirs de la jeunesse sont beaucoup plus vifs que tous les autres. Les événements de l’âge mûr s’envolent de la mémoire de l’adulte plus rapidement que ceux dont il a reçu l’impression dans ses jeunes années. Qu’est-ce à dire ? Que la jeunesse est l’âge le plus impressionnable.

Cela étant, notre tactique à l’égard du Komsomol doit être différente. Prenons, par exemple, la question de l’agitation communiste. La dose permise pour un adulte peut être dangereuse pour un komsomol, car une même dose produira des impressions différentes, provoquera des réactions différentes chez un komsomol ou chez un adulte. Partant de là, on peut faire toute une série de déductions pratiques en ce qui concerne la propagande et l’agitation parmi la jeunesse communiste.

Un trait propre à la jeunesse, c’est une très forte aspiration vers des émotions idéales. La jeunesse a toujours le désir de se sacrifier ; la jeunesse a toujours le désir de parcourir le monde à pied, de se faire marin, d’être capitaine, de découvrir de nouvelles contrées, et ainsi de suite. Et cela, camarades, est bien naturel. J’ignore s’il en est de même pour les autres ; quant à moi, ces fantaisies m’ont hanté jusqu’à dix-huit ans. Je ne crois pas que la jeunesse d’aujourd’hui diffère de nous à cet égard. Je ne crois pas que ces aspirations vers le merveilleux, le désir d’être un héros, d’accomplir de grandes choses pour le peuple dans le domaine de la science et dans d’autres domaines, — que toutes ces qualités ne soient plus propres à la jeunesse actuelle.

Et puis, il y a encore ceci : dans sa masse, la jeunesse est, à un degré extraordinaire, sincère et droite.

Aussi sincère et droit que soit l’homme dans son âge adulte, l’expérience de la vie, les chocs qu’il a reçus dans la vie pratique ont en grande partie détruit en lui cet élan juvénile et tumultueux vers la vérité, vers la sincérité.

Je ne vous ai signalé que certains traits qui distinguent les jeunes des adultes. Ce sont, je crois, les principaux, et je ne m’arrêterai pas sur les autres. Mais ces traits ont-ils par eux-mêmes une valeur pour l’homme ? Sans aucun doute ! Si ces qualités n’avaient pas par elles-mêmes une valeur particulière, exceptionnelle pour l’homme, une bonne partie de la beauté spirituelle de la jeunesse s’en trouverait certainement ternie.

Nous autres, et surtout les dirigeants des organisations du Komsomol, le Parti qui guide et oriente leur travail, nous estimons donc qu’il ne faut pas étouffer ces qualités propres à la jeunesse. Il faut au contraire veiller sur elles, il faut les développer, s’appuyer sur elles pour former un homme nouveau, plus parfait. « Former », c’est facile à dire, mais bien entendu, c’est très difficile à faire.

… Beaucoup s’imaginent à tort que faire en sorte que la jeunesse remplisse ses devoirs de komsomols, c’est assurer le développement, la formation de l’homme. Or, ces devoirs c’est avant tout l’étude de l’ABC politique, l’étude du marxisme, bref des questions sociales.

Une conception aussi étroite du développement, de la formation de l’homme me semble erronée. Je me souviens comment se développaient autrefois les jeunes marxistes : nous ne nous bornions pas à l’étude d’ouvrages spécifiquement marxistes (soit dit en passant, il y en avait alors beaucoup moins qu’à présent ; aujourd’hui, l’ouvrage de Berdnikov et Svétlov à lui seul est énorme ; mais alors nous n’avions que le programme d’Erfurt et le Manifeste communiste). Je veux parler des cercles clandestins : tout en étudiant les principes du marxisme, nous suivions un cours d’instruction générale, en commençant par les classiques russes — romanciers, historiens et critiques — bref, nous étudions toute la sagesse des livres, D’un côté, nous avions le travail à l’usine ; de l’autre nous nous développions en tous sens, dans le domaine de la littérature, des sciences, etc.

J’estime, par exemple, que si l’accomplissement des devoirs de komsomols entrave dans nos écoles l’étude des mathématiques — je prends exprès les mathématiques, car c’est la matière qui diffère le plus des études politiques — si l’étude de la politique remplace l’étude des mathématiques ou des sciences naturelles, nous faisons fausse route. Car alors, le komsomol qui aura lu quelques livres élémentaires sur les sciences politiques ne sera qu’extérieurement un homme cultivé. Dans les conversations, quel qu’en soit le sujet, il pourra donner son avis ; il aura une instruction toute de surface, un vernis extérieur, mais on ne pourra dire ni qu’il est développé, ni qu’il est instruit. Au début il fera sur vous une excellente impression. Mais après quelques heures d’entretien, on se rend compte que ses connaissances politiques ne reposent sur rien, qu’il n’a point, dans les sciences naturelles, les connaissances de ceux qui ont termine l’école moyenne. C’est pourquoi j’estime que l’organisation du Komsomol doit contribuer à former les jeunes de manière que non seulement ils soient instruits sur le plan politique, mais encore que leurs connaissances politiques s’appuient sur les connaissances scientifiques et générales qu’un homme plus ou moins développé est tenu de posséder et que ces connaissances-là ne soient pas mises en oubli.

J’ai dit un jour à l’Académie militaire Lobatchëvski qu’étudier le marxisme, ce n’est pas seulement lire Marx, Engels et Lénine ; vous pouvez étudier leurs ouvrages d’un bout à l’autre, vous rendrez textuellement telles ou telles idées, mais cela ne veut pas encore dire que vous aurez étudié le marxisme. Etudier le marxisme c’est s’assimiler lai méthode marxiste et savoir aborder tous lès autres problèmes liés à votre travail. Si vous travaillez, par exemple, dans l’agriculture, est-il avantageux que vous utilisiez la méthode marxiste ? Mais bien sûr ! Seulement, pour pouvoir appliquer cette méthode, vôusi devez étudier aussi l’agriculture, vous devez être un spécialiste en la matière. Sinon, impossible d’appliquer le marxisme à l’agriculture. Cela, il ne faut pas l’oublier si vous voulez mettre le marxisme en pratique, être des combattants et non des exégètes du marxisme. Qu’entend-on par être marxiste ? C’est savoir adopter la ligne juste. Et pour pouvoir adopter la ligne juste, marxiste, il faut être aussi un excellent spécialiste dans le domaine où l’on travaille.

Cette thèse générale s’applique sans exception à tous les komsomols, à commencer par les étudiants pour finir par ceux de la campagne qui travaillent dans l’agriculture et par les apprentis des fabriques et des usines. A la fabrique, chaque komsomol, pour être un bon ajusteur capable de mettre ses connaissances en pratique et d’aborder tout travail de la manière la plus profitable et la plus rationnelle, doit au préalable songer à la façon dont il attaquera son travail. Celui qui se met à l’œuvre sans plan travaille mal et, par suite, fournit une production médiocre. Vous voyez par là que l’organisation du Komsomol doit inculquer à chacun de ses membres que sa tâche primordiale est de connaître à la perfection la spécialité dans laquelle il travaille, d’être dans son métier un maître non moins bon que celui qui l’a formé. Cette connaissance de sa spécialité fait plus que l’assurer matériellement ; elle lui permet de déployer plus largement par la suite ses aptitudes individuelles. Si un tourneur, si un ajusteur travaille mal, il restera lié à sa place, car il est très difficile à un mauvais ouvrier d’en trouver une autre ; or, il est dur à un komsomol de travailler longtemps à la même place, car il veut voir le monde. Si tu veux voir le monde, sois un ajusteur, un tourneur qui, après son premier travail d’essai, sera embauché partout où il se présentera.

Pour conclure, un peu de morale. J’ai noté que chez nous la jeunesse se comporte à la légère à l’égard de ses maîtres. Je voudrais beaucoup que notre jeunesse lise les anciens philosophes. Elle verrait alors combien d’attention et de déférence les disciples avaient pour leurs maîtres. Il faut, pour apprendre à bien travailler, s’enthousiasmer sincèrement pour son travail ; sans enthousiasme on n’apprendra pas à travailler. Un apprenti ajusteur, par exemple, doit faire abstraction de tous les défauts de son maître et apprendre de lui son métier. Vous comprenez vous-mêmes qu’un vieillard de soixante ans (peut avoir bien des ridicules aux yeux de la jeunesse, mais si vous ne faites attention qu’à ces ridicules, vous perdrez de vue l’essentiel. Ce que vous devez apprendre auprès de lui, c’est la connaissance du métier.

C’est sur l’organisation du Komsomol que l’U.R.S.S. fonde tous ses espoirs. C’est de ses succès, de la façon dont elle s’assimilera les réalisations existantes, que dépendront nos succès ultérieurs. Donc, si les komsomols négligent ces tâches essentielles, nous n’accomplirons naturellement pas notre tâche : nous laisserons se perdre toute une série de spécialités très précieuses pour n’avoir pas su les transmettre entièrement aux komsomols. Je voudrais que vous approfondissiez vous-mêmes toutes ces questions, ces quelques thèses que je n’ai fait qu’esquisser devant vous.

Si la jeunesse sait aborder ces questions comme il convient, une grande partie des défauts dont je vous ai parlé, disparaîtront d’eux-mêmes. Car la vie est trop intéressante, et les sujets d’enthousiasme sont extrêmement nombreux. Ce qu’il faut, c’est orienter la jeunesse vers des enthousiasmes qui sont de la plus grande utilité et qui développent l’homme à tous les points de vue.

Compte rendu sténographique du VIIe Congrès de la Fédération des Jeunesses communistes léninistes de l’U.R.S.S., pp. 15-18, 1926, éd. russe.