Dans le monde d'aujourd'hui, les écoles et la presse, les deux plus importants instruments d'éducation, sont entièrement sous le contrôle des capitalistes. — Mao Tse-Toung

On vous a traduit ce petit texte de Mao (de l’anglais au français). Il date de 1920 mais est extrêmement actuel et intéressant ! Bonne lecture !

Extraits de Lettre à Cai Hesen

1er décembre 1920

Dans sa conférence à Changsha, Russell… a pris position en faveur du communisme mais contre la dictature des ouvriers et des paysans. Il a dit qu’il fallait employer la méthode de l’éducation pour changer la conscience des classes possédantes, et que de cette façon il ne serait pas nécessaire de limiter la liberté ou d’avoir recours à la guerre et à la révolution sanglante… Mes objections au point de vue de Russell peuvent être formulées en quelques mots : c’est très bien en théorie, mais c’est irréalisable en pratique… L’éducation nécessite de l’argent, des personnes et des instruments. Dans le monde d’aujourd’hui, l’argent est entièrement entre les mains des capitalistes. Ceux qui sont chargés de l’éducation sont tous soit des capitalistes, soit des épouses de capitalistes. Dans le monde d’aujourd’hui, les écoles et la presse, les deux plus importants instruments d’éducation, sont entièrement sous le contrôle des capitalistes. En bref, l’éducation dans le monde d’aujourd’hui est une éducation capitaliste. Si nous enseignons le capitalisme aux enfants, ces enfants, lorsqu’ils grandissent, enseigneront à leur tour le capitalisme à une deuxième génération d’enfants. L’éducation reste donc entre les mains des capitalistes.

Ensuite, les capitalistes ont des ” parlements ” pour voter des lois qui protègent les capitalistes et handicapent le prolétariat ; ils ont des ” gouvernements ” pour appliquer ces lois et faire respecter les avantages et les interdictions qu’elles contiennent ; ils ont des ” armées ” et des ” polices ” pour défendre le bien-être des capitalistes et réprimer les revendications du prolétariat ; ils ont des ” banques ” qui servent de dépositaires dans la circulation de leurs richesses ; ils ont des usines, qui sont les instruments par lesquels ils monopolisent la production de marchandises. Ainsi, si les communistes ne s’emparent pas du pouvoir politique, ils ne pourront trouver aucun refuge en ce monde ; comment, dans ces conditions, pourraient-ils prendre en charge l’éducation ? Ainsi, les capitalistes continueront à contrôler l’éducation et à vanter leur capitalisme jusqu’au ciel, de sorte que le nombre de convertis à la propagande communiste du prolétariat diminuera de jour en jour. Par conséquent, je crois que la méthode d’éducation est irréalisable…

Ce que je viens de dire constitue le premier argument. Le deuxième argument est que, sur la base du principe des habitudes mentales et de mon observation de l’histoire humaine, je suis d’avis qu’on ne peut absolument pas s’attendre à ce que les capitalistes se convertissent au communisme… Si l’on veut utiliser le pouvoir de l’éducation pour les transformer, alors comme on ne peut pas obtenir le contrôle de la totalité ou même d’une partie importante des deux instruments de l’éducation – les écoles et la presse – même si l’on a une bouche et une langue et une ou deux écoles et des journaux comme moyen de propagande, cela ne suffit vraiment pas pour changer, même légèrement, la mentalité des adhérents du capitalisme ; comment alors espérer que ces derniers se repentiront et se tourneront vers le bien ? Voilà pour le point de vue psychologique. D’un point de vue historique… on observe qu’aucun despote impérialiste et militariste à travers l’histoire n’a jamais quitté la scène de l’histoire de son plein gré sans être renversé par le peuple. Napoléon Ier s’est proclamé empereur et a échoué ; puis il y a eu Napoléon III. Yuan Shikai a échoué ; puis, il y a eu aussi Duan Qirui…

De ce que je viens de dire d’un point de vue psychologique et historique, il ressort que le capitalisme ne peut être renversé par la force de quelques faibles efforts dans le domaine de l’éducation. C’est le deuxième argument. Il y a encore un troisième argument, assurément très important, et même plus important en réalité. Si nous utilisons des moyens pacifiques pour atteindre le but du communisme, quand l’atteindrons-nous finalement ? Admettons qu’un siècle soit nécessaire, un siècle marqué par les gémissements incessants du prolétariat. Quelle position adopterons-nous face à cette situation ? Le prolétariat est beaucoup plus nombreux que la bourgeoisie ; si nous supposons que le prolétariat constitue les deux tiers de l’humanité, alors un milliard des un milliard cinq cent millions d’habitants de la Terre sont des prolétaires (je crains que le chiffre soit encore plus élevé), qui pendant ce siècle seront cruellement exploités par le tiers restant des capitalistes. Comment pouvons-nous supporter cela ? En outre, étant donné que le prolétariat a déjà pris conscience du fait qu’il devrait lui aussi posséder des richesses, et du fait que ses souffrances sont inutiles, les prolétaires sont mécontents, et une demande de communisme a surgi et est déjà devenue un fait. Ce fait, nous ne pouvons pas le faire disparaître ; lorsque nous en prenons conscience, nous voulons agir. C’est pourquoi, à mon avis, la révolution russe, ainsi que les communistes radicaux dans tous les pays, deviendront chaque jour plus puissants, plus nombreux et mieux organisés. C’est un résultat naturel. C’est le troisième argument.

Il y a un autre point qui se rapporte à mes doutes sur l’anarchisme. Mon argument ne porte pas seulement sur l’impossibilité d’une société sans pouvoir ni organisation. Je voudrais seulement mentionner les difficultés qui s’opposent à l’établissement d’une telle forme de société et à sa réalisation finale… Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, mon point de vue actuel sur le libéralisme absolu, l’anarchisme et même la démocratie est que ces choses sont bien en théorie, mais irréalisables en pratique…