La contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat est l’expression de la contradiction fondamentale du capitalisme, c’est-à-dire la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste. En étudiant le procès de la production de la plus-value, l’accumulation du capital et la paupérisation de la classe ouvrière, et enfin la répartition de la plus-value, nous avons, en fait, étudié cette contradiction fondamentale du capitalisme en tant qu’elle s’exprime dans l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. Mais la contradiction fondamentale du capitalisme, comme dit Engels, s’exprime sous deux formes. En premier lieu…
La contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste se manifeste comme l’antagonisme du prolétariat et de la bourgeoisie.
Engels : Anti-Dühring, p. 311.
En second lieu…
La contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste se reproduit comme antagonisme entre l’organisation de la production dans la fabrique individuelle et l’anarchie de la production dans l’ensemble de la société.
Engels : Anti-Dühring, p. 313.
Pour étudier l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat, l’exploitation capitaliste et son développement, nous avons dû laisser quelque temps de côté la question de savoir dans quelles conditions le capitaliste peut trouver un écoulement à ses marchandises, trouver sur le marché de nouveaux moyens de production pour renouveler la production de la plus-value. Maintenant nous devons nous occuper de cette question. On ne peut pas comprendre la contradiction fondamentale du capitalisme si l’on se borne à étudier une seule forme de son expression. Bien plus, cette première forme — l’antagonisme de classe — ne peut pas être entièrement comprise sans la compréhension de la seconde forme d’expression de la contradiction fondamentale du capitalisme — sans la compréhension de l’opposition entre l’organisation de la production dans chaque entreprise particulière et l’anarchie de la production dans toute la société.
En régime capitaliste, toute la production sociale est dispersée dans des entreprises capitalistes individuelles. Chacune de ces entreprises est une entreprise indépendante, qui est la propriété privée d’un capitaliste particulier, mais, en même temps, la reproduction dans chaque entreprise particulière dépend de la reproduction des autres entreprises, dépend de la reproduction dans toute la société. Ainsi la reproduction dans une entreprise textile dépend de la production par beaucoup d’autres capitalistes de diverses machines textiles, de coton, de matières auxiliaires, de combustible, d’objets de consommation pour les ouvriers, etc., etc. Le mouvement de chaque capital individuel est lié aux mouvements d’un grand nombre d’autres capitaux individuels qui, par leur ensemble, forment le capital social. Et comme le capital social est composé d’un grand nombre de capitaux individuels, le mouvement du capital social, sa reproduction, a un caractère profondément contradictoire.
La question de savoir comment se réalise ce procès contradictoire de la reproduction du capital social, composée de la reproduction des capitaux individuels indépendants, est une des questions les plus difficiles, et, en même temps, les plus importantes de l’économie politique. La solution de ce problème est donnée par Marx dans sa théorie de la reproduction et de la circulation du capital social dans son ensemble.
Pour mieux comprendre la théorie marxiste de la reproduction et son importance, il est nécessaire de prendre d’abord sommairement connaissance de la théorie d’Adam Smith sur cette question. Les conceptions erronées de Smith, acceptées par toute l’économie politique bourgeoise ultérieure, l’ont empêché de comprendre le mécanisme même le plus élémentaire du procès social de la reproduction. Avant d’exposer sa théorie de la reproduction, Marx fait une critique détaillée de Smith. De même, Lénine a souligné plusieurs fois que
… en exposant la théorie de la réalisation, il est nécessaire de s’arrêter surtout sur Adam Smith.
Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 406 (édit. russe).
À la lumière de la critique de la théorie de Smith apparaissent, d’une façon particulièrement nette, l’essence de la théorie marxiste de la reproduction et toute son importance.
1. Critique de la théorie de Smith
La décomposition de la valeur en revenus
Adam Smith est un des fondateurs de la théorie de la valeur créée par le travail (voir plus haut, chapitre 2, paragraphe 6). Smith considérait que la valeur des marchandises est créée par le travail. Mais il affirmait que la grandeur de la valeur de la marchandise est déterminée seulement par la quantité de travail que l’ouvrier ajoute à l’objet de travail, à la matière première. En déterminant la valeur de la marchandise, fabriquée avec cette matière première, Smith ne tenait pas du tout compte de la valeur de la matière première et, en général des moyens de production.
Si, par exemple, pour produire 10 quintaux de seigle, un ouvrier agricole a mis 6 heures de travail et si on a dépensé des moyens de production qui renferment 4 heures de travail (semences, usure de la charrue, entretien des bêtes de trait, etc.), alors, selon Smith, la valeur de ces 10 quintaux de seigle renfermera, non 10 heures de travail, mais seulement 6. Si nous supposons qu’une heure de travail socialement nécessaire s’exprime par 5 francs, la valeur de 10 quintaux de seigle, selon Smith, sera, non 50 francs, mais seulement 30, c’est-à-dire qu’elle sera égale seulement à la valeur nouvellement créée. La valeur des moyens de production dépensés, selon Smith, n’entre pas dans la valeur du seigle.
Une partie de la valeur créée par l’ouvrier (disons 15 francs) sert à l’entretien de l’ouvrier — il la reçoit sous forme de salaire. Une autre partie (aussi 15 francs) constitue le revenu du capitaliste et la rente foncière — la plus-value. (Smith n’avait pas encore une compréhension claire de la plus-value indépendamment de ses formes particulières. Il parlait du profit et de la rente foncière qui sont créés par l’ouvrier en plus de la valeur du salaire. Mais, en réalité, la somme du profit et de la rente foncière représente la plus-value.) Le salaire, qui forme le revenu de l’ouvrier, sert à sa consommation personnelle ; le profit, qui forme le revenu du capitaliste, sert à la consommation personnelle de celui-ci, et la rente foncière constitue le revenu du propriétaire foncier. De là, Smith tirait la conclusion que toute la valeur de la marchandise se décompose seulement en revenus consommés par les différentes classes.
Certes, Smith ne pouvait pas ne pas voir que la somme d’argent retirée de la vente de la marchandise, c’est-à-dire le prix (dans notre exemple 50 francs), renferme non seulement la partie égale au salaire et non seulement le profit et la rente, mais aussi une partie qui indemnise le capitaliste de la valeur des moyens de production dépensés (20 francs). Mais, dit Smith, si le prix du seigle, outre le salaire, le profit et la rente, renferme encore le prix de la charrue, la charrue est bien, elle aussi, créée par le travail. Comme le travail crée seul la valeur qui se décompose en salaire, en profit et en rente, c’est que la valeur de la charrue et aussi la valeur des moyens de production dépensés pour la fabrication de la charrue se réduisent finalement au salaire et à la plus-value, c’est-à-dire aux revenus.
Cela se rapporte à tous les moyens de production employés dans la société. C’est pourquoi, dit Smith, la valeur de tout le produit social se décompose seulement en salaire, en profit et en rente.
Ainsi, suivant la théorie de Smith, la valeur du capital constant (Smith l’appelle capital fixe) dépensé disparaît dans la valeur du produit social. Par cela même, Smith a perdu complètement la possibilité de poser d’une façon juste la question de la reproduction du capital social.
En effet, la partie du produit annuel qui correspond en valeur à la grandeur du salaire est consommée par les ouvriers. L’autre partie, égale en valeur au profit, est consommée par les capitalistes, et la troisième est consommée par les propriétaires fonciers. Toute la valeur du produit annuel se décompose en revenus des différentes classes. C’est pourquoi tout le produit social annuel doit être composé de marchandises telles qu’elles puissent être consommées comme revenu, c’est-à-dire des objets de consommation. Smith commence son célèbre ouvrage la Richesse des nations par cette affirmation :
Le travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie.
Mais si tout le produit social consiste seulement en objets de consommation personnelle, on se demande alors d’où les capitalistes peuvent tirer les moyens de production pour renouveler la production au moins dans la même mesure, c’est-à-dire au moins pour la reproduction simple ? Ils ne peuvent les tirer de nulle part. Ainsi, si l’on suit le point de vue de Smith sur la composition de la valeur du produit, on ne peut pas expliquer alors comment se réalise la reproduction.
La racine de l’erreur de Smith
Smith ne pouvait se rendre compte du procès compliqué de la reproduction du capital social parce que son point de départ était erroné. Il considérait que la valeur déjà marchandise est créée par le travail. Cela est tout à fait exact. Mais cela est loin d’être suffisant pour la compréhension du procès de la production et de la reproduction capitalistes. La question de savoir quel est le travail qui crée la valeur, la question du caractère double du travail est une question décisive.
En effet, examinons de plus près comment Smith pose la question de la valeur du travail. Il considère que la valeur du travail est déterminée par la quantité de travail que l’ouvrier joint à la matière brute. Il est tout à fait clair que, dès le commencement même, dans cette définition, Smith confond deux choses : la valeur de la marchandise et la valeur nouvellement créée. Dans la valeur de la marchandise (dans notre exemple, 50 francs) entre non seulement la valeur nouvellement créée par l’ouvrier et jointe à la matière brute (30 francs), mais aussi la valeur des moyens de production dépensés (20 francs). C’est pourquoi la valeur de la marchandise est plus grande que la valeur nouvellement créée. Cette dernière, en effet, se décompose seulement en capital variable et en plus-value. Mais il ne s’ensuit pas que toute la valeur de la marchandise se décompose seulement en capital variable et en plus-value, — elle contient aussi la valeur du capital constant.
Mais pourquoi Smith ne voit-il pas cette partie de la valeur de la marchandise — la valeur des moyens de production dépensés ? Parce qu’il ne peut comprendre comment la valeur des moyens de production dépensés reparaît dans le produit achevé, parce qu’il ne voit pas de différence entre la création de la valeur et le transfert de la valeur.
La valeur des moyens de production dépensés pour la fabrication de la marchandise ne disparaît pas, — elle est transférée dans le produit achevé. Mais elle n’est pas transférée par le travail même qui crée la nouvelle valeur, non par le travail humain abstrait, mais par le travail concret. Cela découle du caractère double du travail qui crée la marchandise (voir chapitre 4, paragraphe 3).
Smith ne voit pas ce caractère double du travail et c’est pourquoi il ne voit pas aussi le caractère double, contradictoire de la marchandise elle-même qui est en même temps et une valeur et une valeur d’usage. Il laisse tout à fait de côté la valeur d’usage de la marchandise et ne voit pas que l’ouvrier, en créant par son travail concret la valeur d’usage de la marchandise, transfère par cela même dans la marchandise la valeur des moyens de production dépensés. Smith ne comprend pas que pour faire entrer la valeur des moyens de production dans la valeur du produit achevé, il n’est pas du tout nécessaire de la créer nouvellement.
La racine de l’erreur de Smith consiste, par conséquent, dans le fait qu’il ne comprend pas le caractère double, contradictoire du travail, représenté dans la marchandise, et en même temps le caractère contradictoire de la marchandise elle-même. Seul Marx, qui a dévoilé le caractère double du travail, a pu dévoiler l’erreur de Smith et expliquer le procès de la reproduction capitaliste.
Examinons comment Marx, sur la base de sa théorie de la valeur et de la plus-value, analyse le procès de la reproduction du capital social.
2. Les conditions de la reproduction du capital social dans son ensemble
Position de la question
De l’analyse des conceptions de Smith, il ressort déjà que la question de la reproduction du capital aussi bien individuel que social est étroitement liée avec la question de la composition de tout le produit social dans son ensemble. Pour éclaircir ce lien, donnons l’exemple suivant.
Supposons que devant nous soit un fabricant de n’importe quel objet de consommation, par exemple de vêtements. Il a produit une certaine quantité de vêtements, qui atteint la valeur de 100 000 francs, et il a vendu ces vêtements à leur valeur. Supposons que cette valeur contienne : 1. la valeur du capital constant dépensé pour la production des vêtements (60 000 francs) ; 2. la valeur de la force de travail dépensée (20 000 francs) et 3. la plus-value (20 000 francs).
Pour recommencer la production (nous avons en ce moment en vue seulement la reproduction simple), le capitaliste, sur les 100 000 francs reçus doit en employer 60 000 pour l’achat de nouveaux moyens de production à la place de ceux déjà utilisés. Par conséquent, il doit trouver sur le marché non des moyens de production en général, mais des moyens de production tout à fait déterminés — machines à coudre, tissu, fil, etc. — dans une quantité tout à fait déterminée et d’une valeur déterminée, à savoir 60 000 francs. Et il trouvera ces moyens de production sur le marché seulement à la condition qu’ils aient été produits auparavant dans les entreprises d’autres capitalistes, c’est-à-dire seulement à la condition que les moyens de production nécessaires à notre capitaliste existent dans la composition de tout le produit social. Pour la reproduction des vêtements, il est nécessaire que, dans les autres entreprises, on produise de nouvelles machines et les autres moyens de production nécessaires à la fabrication des vêtements, tandis que dans la fabrique de vêtements sont consommés et usés les machines à coudre, les tissus, etc.
Une autre partie de l’argent, retiré de la vente de la marchandise, la partie qui correspond à la valeur de la force de travail dépensée, à savoir 20 000 francs, le capitaliste la dépense comme capital variable en achetant de la force de travail. La question de savoir s’il trouvera sur le marché cette force de travail ne présente pas de difficulté. Nous avons déjà montré plus haut (chapitres 4 et 6) comment le capitalisme se crée un marché permanent de force de travail inutilisée. Il en est tout autrement pour les moyens d’existence des ouvriers. Pour que les ouvriers puissent travailler et produire de la plus-value, ils doivent reproduire leur force de travail. Ils doivent trouver sur le marché les objets de consommation nécessaires. Cela signifie que, pour la reproduction des vêtements, il est nécessaire que dans la composition du produit social se trouvent des objets de consommation personnelle déterminés, d’une valeur déterminée.
Enfin, le capitaliste dépense la plus-value pour lui personnellement. Dans la composition du produit social il doit par conséquent y avoir encore les moyens d’existence nécessaires et des objets de luxe pour la somme de 20 000 francs qui sert à la consommation des capitalistes.
Prenons maintenant un autre exemple — un fabricant d’un moyen de production quelconque, par exemple, de tours. Supposons que son produit annuel ait aussi une valeur de 100 000 francs qui se décompose en 60 000 francs pour la valeur du capital constant dépensé, 20 000 francs pour la valeur du capital variable dépensé et 20 000 francs pour la plus-value. Bien que dans la valeur de ce produit soient renfermées et la valeur du capital variable et la plus-value (40 000 francs), ce même produit par sa forme naturelle ne peut être consommé comme revenu ni par les ouvriers ni par le capitaliste. Ce produit — les tours — peut être consommé seulement dans la production, seulement comme capital, à savoir comme capital constant, par d’autres capitalistes. Il sera vendu seulement dans le cas où selon sa valeur et selon sa valeur d’usage, il correspondra au capital constant dépensé par d’autres capitalistes et qu’ils doivent remplacer par un nouveau…
Si cette condition n’existe pas, le fabricant de tours ne pourra vendre sa marchandise, acheter les moyens de production et la force de travail qui lui sont nécessaires et renouveler la production. Autrement dit, la reproduction chez le fabricant de tours dépend de la reproduction dans une série d’autres entreprises.
Des deux exemples cités, on peut tirer les conclusions suivantes :
En premier lieu, pour que la reproduction soit possible dans une entreprise, la reproduction dans une série d’entreprises est nécessaire. La reproduction du capital individuel, qui forme une partie de la reproduction du capital social est en même temps conditionnée par lui.
En second lieu, pour la reproduction, il ne suffit pas que la valeur de tout le produit social se décompose en valeur des moyens de production (capital constant) dépensés, en salaires (capital variable) et en plus-value. Il est nécessaire encore que dans la composition de tout le produit social existe, d’une part, des marchandises telles que, par leur valeur d’usage, par leur forme naturelle, elles puissent remplacer le capital constant dépensé dans les différentes entreprises (moyens de production) et, d’autre part, des produits tels qu’ils puissent entrer dans la consommation personnelle des ouvriers et des capitalistes (objets de consommation). Autrement dit : Pour la reproduction, il est nécessaire que tout le produit de la société ait une composition déterminée aussi bien par sa valeur que par sa forme naturelle.
Les deux sections de la production sociale
La question de la composition de la valeur du produit social ne présente aucune difficulté. Nous savons déjà que sa valeur consiste en capital constant, en capital variable et en plus-value. En ce qui concerne la composition du produit social en valeur d’usage ou suivant ses parties composantes matérielles, pour analyser cette question, il n’est pas nécessaire d’étudier toutes les différentes sortes des marchandises qui entrent dans la composition du produit social et toutes les branches de la production. De ce qui a été exposé précédemment, il ressort que, pour la reproduction, il est nécessaire que dans la composition du produit social il y ait des moyens de production et des objets de consommation. C’est pourquoi il est tout à fait suffisant que toutes les branches de la production soient groupées en deux grandes sections : 1. les branches qui produisent les moyens de production, et 2. les branches qui produisent les moyens de subsistance. Quelque différentes que soient les marchandises de tout le produit social, elles peuvent, de la même façon, être divisées en deux groupes : 1. les produits de la première section de la production sociale qui sont consommés par toutes les branches de la production comme capital constant — machines, matières premières, matériaux auxiliaires, combustible, etc. ; 2. les produits de la seconde section de la production sociale qui sont consommés comme revenu par les ouvriers et les capitalistes — les objets de première nécessité et les objets de luxe. Marx a décomposé tout le produit social selon sa forme naturelle par cette division de la production sociale en deux grandes sections.
La composition de tout le produit social en valeur et en forme naturelle est présentée démonstrativement et illustrée par Marx de la façon suivante.
Supposons que tout le produit annuel de la société ait une valeur de 9 000 (milliers ou millions de francs — cela est égal) et consiste en moyens de production (le produit de la section I de la production sociale) d’une valeur de 6 000 et en objets de consommation (le produit de la section II) d’une valeur de 3 000. Supposons ensuite que le produit de la section I ait la composition suivante en valeur : 4 000 de capital constant dépensé pour sa production + 1 000 de capital variable dépensé + 1 000 de plus-value.
Désignons le capital constant par la lettre C, le capital variable par la lettre V et la plus-value par la lettre M. (Ces initiales, employées par Marx, représentent les premières lettres des noms allemands des capitaux constants et variables, et de la plus-value. NdlR.)
Alors la composition de la valeur du produit de la section I (qui consiste en moyens de production) peut être représentée de la façon suivante :
4 000 C + 1 000 V + 1 000 M = 6 000.
Prenons maintenant le produit de la section II. Supposons que sa valeur consiste en 2 000 pour la valeur du capital constant + 500 pour la valeur du capital variable + 500 pour la plus-value. La composition de la valeur du produit de la section II (qui consiste en objets de consommation) sera, par conséquent, représentée ainsi :
2 000 C + 500 V + 500 M = 3 000.
En réunissant ces deux séries, nous obtenons le schéma suivant :
Section I | 4000 C | + | 1000 V | + | 1000 M | = | 6000 |
Section II | 2000 C | + | 500 V | + | 500M | = | 3000 |
Produit total : | 6000 C | + | 1500 V | + | 1500 M | = | 9000 |
Dans ce schéma est montré le lien réciproque des parties composantes de la valeur du produit social (C + V + M) et de ses parties composantes matérielles (les deux sections). Dans cette division du produit social en parties composantes de la valeur et de la valeur d’usage dans leurs liens réciproques, Marx a exprimé le caractère double de l’ensemble du travail social dans la société capitaliste, comme travail créant en même temps des valeurs et des valeurs d’usage, créant une nouvelle valeur et transférant au produit social la valeur des moyens de production dépensés dans toute la société. Marx a pu dévoiler cette composition compliquée du produit social parce qu’il voyait le caractère contradictoire de la marchandise elle-même et du travail qui crée la marchandise, — ce que n’avait pas vu Smith, qui, par suite de cela, n’avait pas pu comprendre la reproduction du capital social.
Après avoir éclairci cette composition double du produit du capital social, nous pouvons passer à l’étude de la façon dont se produit la reproduction du capital social.
Nous savons déjà que pour la reproduction il est nécessaire, en premier lieu, de remplacer les moyens de production dépensés par de nouveaux, et, en second lieu, de reconstituer la force de travail dépensée.
Les capitalistes, qui ont besoin de nouveaux moyens de production, les achètent chez d’autres capitalistes. Par exemple, le fabricant de tissus ne produit pas lui-même les métiers, il les achète chez le fabricant de métiers. Ce dernier, en vendant les métiers au fabricant de tissus, réalise leur valeur, la transforme en argent. La valeur d’usage des métiers sera réalisée par le fabricant de tissus, qui emploiera les métiers achetés à la fabrication des tissus. D’autre part, la réalisation de la valeur des métiers, leur vente, est nécessaire pour que le fabricant puisse acheter de nouveaux moyens de production et de la force de travail pour la fabrication de nouveaux métiers. Il en est de même pour tous les autres moyens de production qui entrent dans la composition du produit social. De là, nous pouvons conclure que, pour la reproduction, est nécessaire la réalisation du produit de la section I de la production sociale (moyens de production).
Prenons maintenant la partie du produit social qui consiste en objets de consommation (section II). En vendant les objets de consommation aux ouvriers et aux capitalistes, les fabricants de ces objets de consommation réalisent leur valeur. La valeur d’usage d’une partie de ces produits est réalisée par les ouvriers qui les consomment et reconstituent ainsi leur force de travail ; la valeur d’usage de l’autre partie est réalisée par les capitalistes qui dépensent leur plus-value pour acheter des objets de consommation. S’ils ne vendent pas leurs marchandises, s’ils ne réalisent pas leur valeur, les capitalistes qui produisent les objets de consommation ne pourront pas fabriquer de nouveaux objets de consommation. Mais cela signifie que, pour toute la reproduction sociale, est nécessaire la réalisation non seulement des moyens de production, mais aussi des objets de consommation, qui entrent dans la composition du produit social.
Ainsi, le procès de la reproduction du capital social comprend la réalisation des parties composantes du produit social. La réalisation de leur valeur se produit au moyen de la circulation (achat et vente), et la réalisation de leur valeur d’usage se produit lorsqu’elles entrent dans la production ou dans la consommation. La théorie de la reproduction doit montrer comment se produit cette réalisation. C’est pourquoi la théorie de Marx de la reproduction et de la circulation du capital social s’appelle aussi la théorie de la réalisation.
La réalisation dans la reproduction simple
Examinons comment se produit la réalisation des parties composantes du produit social en valeur et en valeur d’usage dans la reproduction simple. Revenons à notre schéma de la composition matérielle et en valeur du produit social :
Section I | 4000 C | + | 1000 V | + | 1000 M | = | 6000 |
Section II | 2000 C | + | 500 V | + | 500M | = | 3000 |
Produit total : | 6000 C | + | 1500 V | + | 1500 M | = | 9000 |
Avant tout, il saute aux yeux que le dernier chiffre de la première ligne (6 000) est égal à la somme des premiers chiffres des deux lignes (4 000 C + 2 000 C). Autrement dit : tout le produit de la section I est égal, en valeur, à la somme du capital constant dépensé dans les sections I et II c’est-à-dire à la grandeur du capital constant dépensé pour la production de tout le produit social. Cela est compréhensible : car le produit de la section I consiste seulement en moyens de production qui, par leur forme naturelle, ne peuvent fonctionner que comme capital constant, et toutes les branches de la production sociale, représentées par les deux sections, ne peuvent remplacer les éléments de leur capital constant qu’avec des produits de la section I.
De ce schéma, il ressort encore que tout le produit de la section II est en valeur (3 000) égal à la somme du capital variable et à la plus-value des deux sections (1 000 V I + 500 V II + 1 000 M I + 500 M II) ou la somme du capital social variable et à la masse sociale de la plus-value (1 500 V + 1 500 M). La raison en est tout à fait claire : tout le produit de la section II consiste par sa forme matérielle seulement en objets de consommation des ouvriers et des capitalistes. Les ouvriers et les capitalistes des deux sections ne peuvent réaliser leur salaire et leur plus-value qu’avec les produits de la section II. Pour la reproduction du capital social dans son ensemble, il est nécessaire que le produit de la section I consiste non en moyens de production en général, mais en moyens de production déterminés : en moyens de production tels qu’ils puissent être employés dans la section I pour la production de nouveaux moyens de production et dans la section II pour la production de nouveaux objets de consommation. Aux capitalistes de la section I, pour renouveler le procès de la production il faut des moyens de production de la valeur de 4 000 à la place de ceux qui sont usés. Pour certains capitalistes de cette section, le produit peut leur servir de moyen de production, par exemple le charbon dans une mine de houille est un produit, mais là même, il peut aussi servir de combustible aux machines à vapeur employées dans la mine. Les capitalistes de la section I achètent l’un chez l’autre la majorité des moyens de production nécessaires à la fabrication de nouveaux moyens de production. Le producteur de houille achète chez le fabricant de machines les machines nécessaires à la mine ; le propriétaire d’une usine métallurgique achète chez le constructeur de machines l’outillage nécessaire pour le haut fourneau ; le constructeur de machines achète chez le métallurgiste la fonte et l’acier, chez le producteur de la houille, le charbon, etc. Ainsi, par la voie d’une série de circulations, d’achats et de ventes entre les capitalistes de la section I, une partie du produit de la section I, qui consiste en moyens de production pour la fabrication des moyens de production et égale en valeur au capital constant de cette section (4 000 C) est réalisée dans les limites de la section I et indemnise en nature le capital constant employé et usé dans cette section.
Passons maintenant à la section II. Tout le produit de cette section consiste en objets de consommation personnelle. Les ouvriers de cette section avec le salaire reçu des capitalistes sous forme d’argent (500) achètent chez eux les moyens d’existence nécessaires pour la même somme. Ainsi, par la voie d’une série de circulations entre les ouvriers et les capitalistes de la section II est réalisée la partie du produit de la section II qui, en valeur, est égale à la valeur du capital variable (500 V) dépensé dans cette section. En résultat de cette réalisation, les capitalistes de la section II voient leur capital variable leur revenir sous forme d’argent et ils peuvent de nouveau acheter de la force de travail, et les ouvriers de cette section reconstituent leur force de travail et peuvent de nouveau la vendre. Ensuite les capitalistes de la section II achètent l’un chez l’autre les moyens d’existence nécessaires et des objets de luxe pour une valeur globale de 500. Par la voie de ces circulations entre les capitalistes de la section II est réalisée la partie du produit de cette section, dont la valeur est égale à la masse globale de la plus-value de cette section (500 M). Ainsi, dans les limites de la section II est réalisée la partie du produit (objets de consommation), qui, en valeur, est égale au capital variable et à la plus-value de cette section (500 V + 500 M).
Pour plus de clarté, encadrons les parties du produit qui sont réalisées à l’intérieur de chaque section. Notre schéma prendra alors l’aspect suivant :
vant tout, il saute aux yeux que le dernier chiffre de la première ligne (6 000) est égal à la somme des premiers chiffres des deux lignes (4 000 C + 2 000 C). Autrement dit : tout le produit de la section I est égal, en valeur, à la somme du capital constant dépensé dans les sections I et II c’est-à-dire à la grandeur du capital constant dépensé pour la production de tout le produit social. Cela est compréhensible : car le produit de la section I consiste seulement en moyens de production qui, par leur forme naturelle, ne peuvent fonctionner que comme capital constant, et toutes les branches de la production sociale, représentées par les deux sections, ne peuvent remplacer les éléments de leur capital constant qu’avec des produits de la section I.
De ce schéma, il ressort encore que tout le produit de la section II est en valeur (3 000) égal à la somme du capital variable et à la plus-value des deux sections (1 000 V I + 500 V II + 1 000 M I + 500 M II) ou la somme du capital social variable et à la masse sociale de la plus-value (1 500 V + 1 500 M). La raison en est tout à fait claire : tout le produit de la section II consiste par sa forme matérielle seulement en objets de consommation des ouvriers et des capitalistes. Les ouvriers et les capitalistes des deux sections ne peuvent réaliser leur salaire et leur plus-value qu’avec les produits de la section II. Pour la reproduction du capital social dans son ensemble, il est nécessaire que le produit de la section I consiste non en moyens de production en général, mais en moyens de production déterminés : en moyens de production tels qu’ils puissent être employés dans la section I pour la production de nouveaux moyens de production et dans la section II pour la production de nouveaux objets de consommation. Aux capitalistes de la section I, pour renouveler le procès de la production il faut des moyens de production de la valeur de 4 000 à la place de ceux qui sont usés. Pour certains capitalistes de cette section, le produit peut leur servir de moyen de production, par exemple le charbon dans une mine de houille est un produit, mais là même, il peut aussi servir de combustible aux machines à vapeur employées dans la mine. Les capitalistes de la section I achètent l’un chez l’autre la majorité des moyens de production nécessaires à la fabrication de nouveaux moyens de production. Le producteur de houille achète chez le fabricant de machines les machines nécessaires à la mine ; le propriétaire d’une usine métallurgique achète chez le constructeur de machines l’outillage nécessaire pour le haut fourneau ; le constructeur de machines achète chez le métallurgiste la fonte et l’acier, chez le producteur de la houille, le charbon, etc. Ainsi, par la voie d’une série de circulations, d’achats et de ventes entre les capitalistes de la section I, une partie du produit de la section I, qui consiste en moyens de production pour la fabrication des moyens de production et égale en valeur au capital constant de cette section (4 000 C) est réalisée dans les limites de la section I et indemnise en nature le capital constant employé et usé dans cette section.
Passons maintenant à la section II. Tout le produit de cette section consiste en objets de consommation personnelle. Les ouvriers de cette section avec le salaire reçu des capitalistes sous forme d’argent (500) achètent chez eux les moyens d’existence nécessaires pour la même somme. Ainsi, par la voie d’une série de circulations entre les ouvriers et les capitalistes de la section II est réalisée la partie du produit de la section II qui, en valeur, est égale à la valeur du capital variable (500 V) dépensé dans cette section. En résultat de cette réalisation, les capitalistes de la section II voient leur capital variable leur revenir sous forme d’argent et ils peuvent de nouveau acheter de la force de travail, et les ouvriers de cette section reconstituent leur force de travail et peuvent de nouveau la vendre. Ensuite les capitalistes de la section II achètent l’un chez l’autre les moyens d’existence nécessaires et des objets de luxe pour une valeur globale de 500. Par la voie de ces circulations entre les capitalistes de la section II est réalisée la partie du produit de cette section, dont la valeur est égale à la masse globale de la plus-value de cette section (500 M). Ainsi, dans les limites de la section II est réalisée la partie du produit (objets de consommation), qui, en valeur, est égale au capital variable et à la plus-value de cette section (500 V + 500 M).
Pour plus de clarté, encadrons les parties du produit qui sont réalisées à l’intérieur de chaque section. Notre schéma prendra alors l’aspect suivant :
Dans la section I, la partie du produit, d’une valeur de 2 000, qui contient la valeur reproduite du capital variable (1 000 V) dépensé dans cette section et la plus-value (1 000 M), est restée non réalisée. Cette partie du produit consiste en moyens de production, et c’est pourquoi elle ne peut pas servir à la consommation personnelle ni des ouvriers ni des capitalistes de la section II, car, par sa forme naturelle, elle ne peut pas, en général, servir à la consommation personnelle.
D’autre part, cette partie du produit de la section I ne peut pas être employée dans les limites de cette section, également en qualité de capital constant, car celui-ci est déjà indemnisé ici au moyen de la réalisation de la première partie du produit (4 000) et dans la reproduction simple, à la section I, il faut seulement pour 4 000 de moyens de production. Par conséquent, cette partie du produit de la section I non encore réalisée ne peut l’être que dans les limites de la section II. C’est pourquoi elle doit consister en moyens de production servant à la production d’objets de consommation.
Dans la section II, la partie du produit d’une valeur de 2 000 qui représente la valeur du capital constant (2 000 C) dépensé dans cette section est restée non réalisée. Elle consiste en objets de consommation et c’est pourquoi elle ne peut servir à remplacer les éléments matériels du capital constant de cette section, car, par sa forme matérielle, elle ne peut pas, en général, servir de moyens de production. D’autre part, cette partie du produit de la section II ne peut servir à la consommation personnelle des ouvriers et des capitalistes de cette section, car ces derniers ont déjà réalisé leur salaire et leur plus-value dans une autre partie du produit de leur section (500 V + 500 M). Par conséquent, cette partie du produit de la section II non réalisée (2 000) ne peut être réalisée que dans les limites de la section I.
Il est évident que des parties déterminées du produit social ne peuvent être réalisées que par la voie d’échanges entre les deux sections de la production sociale.
La réalisation de ces différentes parties du produit social peut s’effectuer de la façon suivante. Les capitalistes de la section II achètent chez les capitalistes de la section I des moyens de production pour 2 000. Sur l’argent reçu, les capitalistes de la [section I] dépensent 1 000 de plus-value pour l’achat d’objets de consommation chez les capitalistes de la section II. Et ils payent les autres 1 000 à leurs ouvriers sous forme de salaire. Les ouvriers de la section I achètent chez les capitalistes de la section II des objets de consommation pour 1 000. Ainsi se sont trouvés réalisés dans la section I 1 000 V et 1 000 M et dans la section II 2 000 C.
Tout ce procès de la réalisation du produit social dans son ensemble peut être schématiquement figuré de la façon suivante (les encadrements simples signifient que la réalisation des parties du produit social enfermées dans ceux-ci se produit dans les limites de la section donnée, et les encadrements réunis par un trait signifient que la réalisation se produit dans la circulation entre les sections) :
Ainsi, avec la composition en valeur et en valeur d’usage de tout le produit social que nous avons supposé, est possible la pleine réalisation de toutes les parties du produit social sans excédent. Par son schéma de la réalisation dans la reproduction simple, Marx a illustré la façon dont est indemnisé par le produit annuel de la société le capital constant dépensé et la façon dont la consommation des ouvriers et des capitalistes est liée avec cela. Il a dévoilé et clairement montré les lignes fondamentales et les plus simples suivant lesquelles se produit le mouvement du capital social dans son ensemble et dans ses parties composantes. Par cela même, il a résolu la question la plus difficile, celle de savoir comment le mouvement des parties composantes en valeur du produit social est lié avec le mouvement de ses parties composantes en valeur d’usage.
Toutes ces conditions compliquées de la réalisation dans la reproduction simple, et, par conséquent, les conditions de la reproduction simple elle-même, que nous venons d’analyser, peuvent être réduites à une condition fondamentale très simple, à savoir : pour que puisse avoir lieu la reproduction simple, il est nécessaire que toute la somme du capital variable et de la plus-value de la section I (I V + I M) soit égale au capital constant de la section II (II C).
Cela découle de l’exemple donné par nous, dans lequel I V (1 000) + I M (1 000) = II C (2 000). Sous cette condition, toutes les parties du produit social peuvent être réalisées, l’indemnisation du capital constant se produit dans toutes les entreprises individuelles, la force de travail dépensé se reconstitue et la production peut se renouveler dans les mêmes dimensions qu’auparavant, c’est-à-dire que la reproduction simple est possible.
En appliquant la même méthode que dans l’analyse de la reproduction simple, Marx a dévoilé aussi les conditions dans lesquelles est possible la reproduction élargie.
La réalisation dans la reproduction élargie
Dans la reproduction élargie, les capitalistes consomment comme revenu non toute leur plus-value, mais seulement une partie de celle-ci ; l’autre partie est jointe au capital, s’accumule. Il s’ensuit que dans la reproduction élargie la partie du produit de la section I qui représente la plus-value (1 000 M) ne peut être entièrement échangée contre les objets de consommation. Une certaine partie est jointe au capital constant de la section I sous forme de moyens de production supplémentaires et est réalisée ainsi dans les limites de cette section. Par conséquent, ce ne sera pas toute la somme I V + I M, mais seulement une partie de celle-ci, qui passera dans l’échange de la section I avec la section II. Cela est possible seulement dans le cas où le capital constant de la section II est moindre que la somme du capital variable et de la plus-value de la section I. Pour la reproduction élargie, il est par conséquent nécessaire que la somme du capital variable et de la plus-value de la section I (I V + I M) soit plus grande que le capital constant de la section II (II C).
Cette condition de la reproduction élargie sera réalisée si l’ensemble du produit social a, par exemple, la composition suivante en valeur et en valeur d’usage :
I. | 4000 C | + | 1000 V | + | 1000 M | = | 6000 |
II. | 1500 C | + | 750 V | + | 750 M | = | 3000 |
Comme dans la section II le capital constant (1 500) est moindre que la somme du capital variable et de la plus-value de la section I, les capitalistes de la section II ne feront pas une demande pour toute cette somme et les capitalistes de la section I convertiront une partie de leur plus-value en capital.
Supposons que les capitalistes de la section I accumulent la moitié de leur plus-value, c’est-à-dire 500. Si la composition organique du capital reste chez eux inchangée, ils doivent ajouter au capital constant 400 et au capital variable 100. Par conséquent, sur tout le produit de la section I (6 000 de moyens de production) 4 400 sont consommés dans les limites de cette même section. Les autres 1 600 de moyens de production (qui d’après leur valeur se composent de 1 100 de capital variable et 500 de plus-value) doivent être échangés contre des produits de la section II, car dans leur forme naturelle (moyens de production) ils ne peuvent servir à la consommation personnelle ni des ouvriers ni des capitalistes de la section I.
En analysant la composition du produit annuel, nous étudions par cela même le cycle annuel de la production. Le produit annuel est le produit de la production annuelle. Sa composition en valeur est le résultat du transfert de la valeur des moyens de production dépensés et de la création d’une nouvelle valeur. Dans le produit de la section I cela est exprimé par la formule suivante : 4 000 C + 1 000 V + 1 000 M. Cette formule montre la composition en valeur du produit, tel qu’il est sorti du procès de production de la première année. Pour que la reproduction soit élargie au cours de la seconde année, est nécessaire déjà une autre répartition des parties composantes de la valeur du produit : pour indemniser le capital constant usé il doit être consacré 4 000 sur la composition de la valeur du produit, pour élargir le capital constant, 400, pour acheter de la force de travail, 1 100, et pour la consommation des capitalistes, 500. Ainsi la composition en valeur du produit tel qu’il doit entrer dans la production et dans la consommation de l’année suivante sera : 4 400 C + 1 100 V + 500 M.
Les capitalistes de la section I doivent vendre aux capitalistes de la section II des moyens de production pour 1 600. Mais pour que les capitalistes de la section II puissent employer chez eux des moyens de production pour 1 600 à la place des moyens de production dépensés par eux l’année précédente (1 500), ils doivent augmenter leur capital constant de 100. Ils ne peuvent prendre ces 100 que sur leur plus-value. Si la composition organique du capital reste inchangée, les capitalistes de la section II, en ajoutant à leur capital constant 100, doivent ajouter au capital variable 50. Leur capital variable s’élèvera au commencement de la seconde année à 800. Sur leur plus-value de 750, ils accumulent ainsi 150 (ils ajoutent 100 au capital constant et 50 au capital variable). Pour la reproduction élargie dans la section II, la valeur du produit de cette section sera, par conséquent, répartie au moment de la seconde année de la façon suivante : 1 600 C + 800 V + 600 M.
Nous avons vu plus haut que la composition de tout le produit social était, à la fin de la première année :
I. | 4000 C | + | 1000 V | + | 1000 M | = | 6000 |
II. | 1500 C | + | 750 V | + | 750 M | = | 3000 |
Maintenant nous voyons que pour commencer la reproduction élargie dans les deux sections, tout le produit social doit avoir au commencement de la seconde année la composition suivante :
I. | 4400 C | + | 1100 V | + | 500 M | = | 6000 |
II. | 1600 C | + | 800 V | + | 600 M | = | 3000 |
La réalisation du produit s’effectuera de la façon suivante. Les capitalistes de la section I achètent l’un à l’autre pour 4 400 de moyens de production et réalisent ainsi une partie du produit de cette section. Les ouvriers de la section II achètent aux capitalistes de cette section pour 800 de moyens d’existence et les capitalistes achètent l’un à l’autre pour 600 de moyens d’existence. Quant à l’échange de 1 600 de moyens de production (1 100 de capital variable, 500 pour la consommation des capitalistes de la section I) contre 1 600 de moyens de consommation (1 600 de capital constant de la section II), il a lieu entre les sections I et II. Le nouveau cycle de la production commencera, par conséquent, dans les deux sections sur la base d’un capital plus grand que dans le premier cycle. Dans ce premier cycle tout le capital de la section I était de 5 000 (= 4 000 C + 1 000 V), maintenant il s’élève à 5 500 (= 4 400 C + 1 100 V). Le capital de la section II était au commencement du premier cycle 2 250 (= 1 500 C + 750 V) et au commencement du second cycle il est égal à 2 400 (= 1 600 C + 800 V). Et tout le capital social, qui dans le premier cycle était de 7 250, est maintenant de 7 900.
Si le taux de la plus-value reste sans changement, le produit de la seconde année aura la composition suivante :
I. | 4400 C | + | 1100 V | + | 1100 M | = | 6600 |
II. | 1600 C | + | 800 V | + | 800 M | = | 3200 |
Sur la base de cette composition du produit après sa réalisation commence le troisième cycle de la production, etc.
La théorie de la reproduction est le développement de la théorie de la valeur
Les schémas marxistes de la réalisation du produit social, de la reproduction et de la circulation du capital social illustrent par quelle voie, dans la reproduction simple et élargie, sont indemnisés les éléments du capital, illustrent la façon dont la consommation des ouvriers et des capitalistes est liée avec cela et la façon dont le mouvement des parties composantes en valeur du produit social est lié au mouvement de ses parties composantes en valeur d’usage.
Le mouvement du capital social dans son ensemble, composé d’un grand nombre de mouvements qui s’enchevêtrent de capitaux individuels, est un procès très compliqué et très confus. Marx caractérise de la façon suivante la complexité de ce procès :
Tant qu’on ne considère que le fonds de la production annuelle globale, le procès de reproduction annuel est aisément compréhensible. Mais toutes les composantes de la production annuelle doivent être mises sur le marché, et c’est là que commence la difficulté. Les mouvements des capitaux individuels et des revenus personnels se croisent, s’entremêlent, se perdent dans un déplacement universel — la circulation de la richesse sociale — qui trouble le regard et donne à l’analyse des problèmes très complexes à résoudre.
Marx, Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 661-662.
Les économistes bourgeois ne sont pas à même de comprendre ce procès. Même les meilleurs d’entre eux, comme Smith et Ricardo, qui reconnaissaient que la valeur des marchandises est créée par le travail, n’ont pu comprendre. Ils ne l’ont pas pu parce qu’ils n’ont pas compris que ce travail à un caractère double particulier, caractéristique pour le mode de production capitaliste ; ils n’ont pas vu les contradictions de ce dernier. Et c’est précisément pour cela que leur vue se trouble.
Marx, sur la base de l’analyse des contradictions de la production capitaliste, a dévoilé la composition double du produit social en valeur et en forme naturelle et a montré comment s’effectuent la réalisation du produit et la reproduction du capital.
Par sa doctrine du caractère double du travail qui produit les marchandises, doctrine du caractère spécifiquement historique de ce travail, Marx a donné la clé qui permet de comprendre cet « universel changement de place » que représente la circulation de la richesse sociale en régime capitaliste, il a apporté la plus grande clarté dans les phénomènes les plus obscurs et les plus confus du capitalisme, il a résolu les questions les plus difficiles, qui semblaient être insolubles. Cela signifie que la théorie marxiste de la reproduction et de la circulation du capital social est une application directe de sa doctrine du caractère double du travail, le développement ultérieur de sa théorie de la valeur et de la plus-value.
Et, précisément, cette circonstance jette une éclatante lumière encore sur un côté de la théorie marxiste de la reproduction, et dévoile le sens profond de cette théorie qui a une importance de premier ordre pour la compréhension des contradictions du capitalisme.
Les apologistes du capitalisme affirment que la marche ininterrompue de la reproduction sociale, aussi bien simple qu’élargie, est possible en régime capitaliste. Certains de ces apologistes, comme l’économiste bourgeois Tougan-Baranovski et le social-démocrate Otto Bauer, affirment que Marx dans ses schémas a prétendument prouvé l’existence d’une parfaite harmonie entre toutes les parties de la production sociale en régime capitaliste, l’existence d’un certain équilibre. Toutes ces affirmations ne sont rien autre qu’une tentative de déformation consciente et grossière de la théorie de Marx, afin d’embellir et de dissimuler sous ce pavillon les profondes contradictions qui dévorent le capitalisme et de le présenter comme une économie sociale organisée, comme un « capitalisme organisé ».
Nous avons déjà montré dans le chapitre 2 que la loi de la valeur n’est pas la loi de l’équilibre de la production des marchandises, que la valeur est l’expression des contradictions du mode capitaliste de production. C’est pourquoi la théorie de la reproduction de Marx, qui est le développement ultérieur de sa théorie de la valeur, non seulement ne prouve pas une harmonie quelconque de la reproduction capitaliste, mais, au contraire, dévoile le caractère profondément contradictoire de la reproduction et du mouvement du capital social dans son ensemble.
Par ses schémas, Marx illustre seulement les conditions sous lesquelles sont possibles la réalisation du produit social et la reproduction (aussi bien simple qu’élargie) en régime capitaliste. Mais il ne prouve pas du tout que cette possibilité se transforme toujours en réalité. Du fait que, sous certaines conditions, la reproduction du capital social est possible, il ne s’ensuit nullement que ces conditions existent toujours dans la réalité. Les conditions d’une reproduction ininterrompue sont : 1o une composition déterminée de la valeur et de la valeur d’usage du produit social ; et 2o la réalisation aussi bien de la valeur que de la valeur d’usage de toutes les parties composantes du produit social. Mais même dans le cas où existe la composition du produit social nécessaire pour la reproduction, cela n’assure pas encore sa pleine réalisation. Nous avons vu que cette réalisation s’effectue par la voie d’une série de procès compliqués de circulation entre les capitalistes et les ouvriers des deux sections. Toute la circulation du produit social se compose d’un grand nombre d’actes d’achat et de vente,
… s’opérant indépendamment l’un de l’autre, mais s’entremêlant sans cesse. La complication même du procès rend possible une marche anormale.
Marx : le Capital, t. 8, p. 159-160. Costes. Paris, 1926.
Mais ce n’est pas encore tout. Du fait que pour la reproduction une composition déterminée du produit social est nécessaire, il ne s’ensuit pas encore que cette composition existe toujours en réalité. L’anarchie de la production, caractéristique pour le capitalisme, aboutit plutôt au fait que le produit social n’a pas la composition nécessaire pour la marche régulière de la reproduction. Pour qu’une telle composition existât en réalité, une organisation planée de la production dans toute la société serait nécessaire et cela contredit l’essence même du capitalisme, qui consiste dans la contradiction entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste. Cette contradiction fondamentale du capitalisme rend impossible la marche régulière et ininterrompue de la reproduction capitaliste et conditionne son caractère contradictoire.
Le développement donné par Lénine à la théorie marxiste de la reproduction
La question de la reproduction capitaliste et de ses contradictions est une des questions centrales de l’économie politique. Comme cela a déjà été montré dans le chapitre 6, la reproduction capitaliste aggrave les contradictions du capitalisme et prépare les conditions de sa ruine et les prémices de l’ordre socialiste. La question des contradictions de la reproduction capitaliste a ainsi une énorme importance pour la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le capitalisme.
Le contenu révolutionnaire de la théorie marxiste de la reproduction a été pleinement dévoilé et développé par Lénine déjà à la fin du siècle passé, alors qu’en Russie le mouvement ouvrier révolutionnaire indépendant était seulement encore en train de se former.
Dans les rangs des intellectuels bourgeois étaient apparus des « savants » (Tougan-Baranovski, Strouvé, Boulgakov) qu’on appelait les « marxistes légaux » ; ils affirmaient que des schémas marxistes de la reproduction il découlait prétendument que le capitalisme est le seul régime progressif, privé de contradictions, appelé à développer sans limites les forces productives de la société. Ils tentaient de subordonner le mouvement ouvrier aux intérêts de la bourgeoisie et de lui ôter son indépendance. À leur remorque se traînaient les menchéviks.
D’un autre côté, les narodniks, ces « socialistes » petits-bourgeois voyaient les contradictions du capitalisme, mais ne comprenaient pas leur caractère. Ils affirmaient que des contradictions du capitalisme découle l’impossibilité de son développement, que, par comparaison avec la petite production marchande, le capitalisme est un pas en arrière ; que le véritable socialisme consiste dans la conservation de la petite production marchande. Ces idéologues de la petite bourgeoisie considéraient la classe ouvrière seulement comme une force auxiliaire pour le mouvement paysan. Lénine intervint contre toutes ces tentatives de détourner la classe ouvrière de la voie révolutionnaire indépendante. Une des armes principales et les plus fortes que Lénine ait dirigées contre les ennemis déclarés et secrets du prolétariat, fut la théorie marxiste de la reproduction capitaliste. À côté de cela, Lénine n’a pas seulement dévoilé tout le contenu révolutionnaire de la théorie de Marx, mais il l’a aussi développée, l’enrichissant d’un nouveau contenu.
Lénine a élaboré en détail et a concrétisé la question des voies de développement du capitalisme, la question de savoir sous quelle forme s’effectue le développement de la contradiction fondamentale du capitalisme. Sur cette base, il a découvert les voies du développement du capitalisme en Russie et, contrairement aux narodniks, il a montré qu’en Russie se produit un développement rapide du capitalisme, que dans la marche de ce développement croît et s’organise une classe ouvrière révolutionnaire — la force révolutionnaire dirigeante dans la lutte contre l’autocratie et les restes de la féodalité.
Lénine a montré que la future révolution en Russie doit en finir avec le tsarisme pour passer immédiatement à l’étape suivante, — au renversement du capitalisme, à la révolution prolétarienne, qui est le commencement de la révolution prolétarienne mondiale.
Cette question des contradictions de la reproduction capitaliste et du développement de la théorie marxiste de la reproduction par Lénine, nous l’examinerons en liaison avec la lutte que Lénine a menée contre les socialistes petits-bourgeois et les apologistes bourgeois.
3. Les contradictions de la reproduction
La question de la possibilité de l’accumulation et du marché intérieur
L’économiste suisse Sismondi est la souche du socialisme petit-bourgeois et les narodniks ont entièrement adopté sa théorie. Sismondi affirmait que, en résultat du fait qu’en régime capitaliste la production dépasse la consommation par suite du bas niveau de la consommation des ouvriers, il doit y avoir une surproduction constante et toujours croissante, qui ne peut trouver d’écoulement. Le capitalisme ruine les petits producteurs et, par cela même, rétrécit son propre marché d’écoulement. C’est pourquoi l’accumulation n’est possible que s’il existe un marché extérieur et comme sur l’arène mondiale apparaissent de nouveaux pays capitalistes, il devient de plus en plus difficile à chaque pays de trouver un marché extérieur. Les narodniks russes ont adopté cette théorie de Sismondi et ils affirmaient qu’en Russie, pays entré tardivement sur le marché mondial, le développement du capitalisme était impossible.
Analysons tout d’abord la question de la ruine des petits producteurs. Est-il juste qu’elle réduise le marché pour le capitalisme ? Le petit paysan, qui ne porte au marché qu’une partie de son produit et consomme le reste lui-même, qui produit lui-même la plus grande partie des objets consommés par lui (le pain, la toile, etc.), contribue moins à l’élargissement du marché capitaliste que le petit paysan ruiné. Ce dernier est obligé de vendre presque toute sa récolte pour payer ses dettes et les impôts, et ensuite acheter le pain sur le marché. Il est obligé de vendre sa force de travail — de travailler comme journalier ou de partir à la ville pour les travaux saisonniers. Il s’occupe beaucoup moins de la production domestique et achète les objets de consommation. La ruine du petit producteur élargit ainsi le marché des objets de consommation.
D’autre part, une faible partie des petits producteurs se transforme en entrepreneurs capitalistes, qui font une plus grande demande de moyens de production. Il en résulte que le marché d’écoulement des moyens de production s’élargit.
L’élargissement du marché capitaliste par la voie de la ruine des petits producteurs s’effectue aux dépens de l’aggravation de la situation de la masse écrasante des petits producteurs. Mais en régime capitaliste il ne peut pas en être autrement. Lorsque les socialistes petits-bourgeois du fait de la ruine des petits producteurs, tirent la conclusion d’une réduction du marché pour le capitalisme et prêchent le retour de la grande production capitaliste à la petite production, ils montrent leur incompréhension de l’essence même du capitalisme et leur incompréhension du fait que le capitalisme lui-même est engendré par la petite production.
Le développement du capitalisme va de pair avec le développement de l’économie marchande, et au fur et à mesure que la production domestique cède la place à la production pour la vente et que l’artisan cède la place à la fabrique, un marché se forme pour le capital.
Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 14, édition russe.
Étudions maintenant le second, le principal argument de Sismondi, à savoir que le marché pour le capital se rétrécit par suite du fait que la production dépasse la consommation. À côté de cela, Sismondi part de la théorie de Smith, analysée par nous ci-dessus, que la valeur du produit social se décompose seulement en capital variable et en plus-value et que tout le produit social doit être consommé comme revenu. Il tire de là la conclusion que la production doit correspondre à la consommation. Et comme la consommation en réalité reste en arrière de la production, alors, selon Sismondi, il doit y avoir une surproduction constante, qui ne peut pas être écoulée par les capitalistes. C’est pourquoi, selon Sismondi, l’accumulation est impossible.
Du schéma de la reproduction élargie (voir plus haut), il ressort que la fabrication des moyens de production croît plus rapidement que la fabrication des objets de consommation. Et nous avons supposé que la composition organique du capital restait inchangée. Mais, en réalité, dans la marche du développement du capitalisme, le capital constant croît plus rapidement que le capital variable, car la croissance de la composition organique du capital est la loi du développement du capitalisme. La composition organique du capital croît dans toutes les branches de la production sociale. Mais comme les éléments matériels du capital constant — les moyens de production — ne sont produits que par la section I, cette dernière doit produire des moyens de production dans une proportion toujours grandissante non seulement pour elle-même, mais aussi pour la section II. La section I de la production sociale croît plus rapidement que la section II.
La croissance du capital constant, son accumulation, signifie que la consommation des moyens de production — des produits de la section I — croît. Et la croissance de la consommation des moyens de production, la croissance de la demande de ceux-ci signifie que le marché pour le capitalisme croît. L’élargissement même de la production, l’accumulation du capital, crée un marché pour l’écoulement des moyens de production. Mais l’élargissement de la production conduit aussi à une certaine croissance de la consommation des ouvriers. Pour agrandir la production des moyens de production, il est nécessaire d’attirer des ouvriers dans la section I. Et ces ouvriers supplémentaires font une demande supplémentaire en objets de consommation. Dans notre schéma de la reproduction élargie, la consommation des ouvriers de la section I a augmenté de 100. Cela provoque une croissance de la production des objets de consommation dans la section II et une demande supplémentaire des ouvriers de cette section de 50. Ainsi la consommation se développe immédiatement après la production. Le développement du capitalisme s’effectue surtout par la voie de la croissance de la fabrication des moyens de production.
La production et la consommation en régime capitaliste
Bien qu’un certain élargissement de la consommation soit le résultat de l’élargissement de la production, la consommation des masses ne correspond cependant pas à la croissance de la production et reste en arrière de celle-ci, car la paupérisation absolue et relative de la classe ouvrière est une loi du capitalisme.
Dans tout le produit du capital social, la part des objets de consommation tombe. Sismondi et ses disciples tirent de là la conclusion que le capitalisme ne peut pas se développer. Ils ne voient pas que le développement du capitalisme ne peut se produire que par cette voie.
Ce développement de la production (et, par suite, du marché intérieur lui aussi) essentiellement dans le domaine des moyens de production semble paradoxal et constitue, sans doute aucun, une contradiction. C’est une véritable « production pour la production », c’est un élargissement de la production sans élargissement correspondant de la consommation. Mais ce n’est pas là une contradiction dans la doctrine, mais dans la vie elle-même ; c’est précisément une contradiction qui correspond à la nature même du capitalisme et aux autres contradictions de ce système d’économie sociale. Cet élargissement de la production sans élargissement correspondant de la consommation correspond justement à la mission historique du capitalisme et à sa structure sociale spécifique : la première consiste à développer les forces productives de la société ; la seconde exclut l’utilisation de ces conquêtes techniques par la masse de la population.
Lénine, Le développement du capitalisme en Russie, Œuvres, tome 3, p. 48.
Les socialistes petits-bourgeois voient les contradictions entre la production et la consommation en régime capitaliste. Mais, de là, ils tirent la conclusion que dans les cadres de la société capitaliste il doit exister une surproduction constante de marchandises qui ne trouvent pas d’écoulement, que l’accumulation capitaliste est impossible sans marché extérieur. [Certes, une telle surproduction doit de temps à autre se produire inévitablement (les crises). Nous en parlerons plus bas.] Mais en réalité, cela signifie l’impossibilité du capitalisme même, car sur le marché extérieur se produit aussi la ruine des petits producteurs, la paupérisation des masses de la classe ouvrière et là-bas la production doit aussi dépasser la consommation. Comme le capitalisme est tout de même un fait réel qu’on ne peut pas nier, les socialistes petits-bourgeois le déclarent un phénomène monstrueux, une déviation de la marche « normale » du développement de la société humaine, ils se plaignent au sujet des malheurs que le capitalisme apporte aux masses et dessinent des tableaux enchanteurs du régime prospère et florissant de la petite production marchande, en comparaison duquel le capitalisme est un pas en arrière dans le développement de la société humaine. Les socialistes petits-bourgeois sont pour la conservation de la petite production, ils sont les idéologues des petits producteurs et c’est pourquoi ils ne peuvent pas comprendre que le capitalisme est une étape nécessaire de l’histoire de l’humanité, qu’il développe les forces productives de la société et que, jusqu’à un certain degré de son développement, jusqu’à sa transformation en impérialisme, il est un mode de production progressif, car il développe les forces productives et crée une classe ouvrière révolutionnaire, qui est appelée à en finir avec toute exploitation et avec la misère des masses.
Les socialistes petits-bourgeois se détournent de la réalité et bercent les masses avec leurs contes sur un régime idéal de petite production qui est, en fait, un régime rétrograde et barbare. Ils ne voient pas que le capitalisme se développe sur la base de cette même petite production et que pour en finir réellement avec le capitalisme, il faut aller non en arrière, mais en avant. C’est pourquoi, Marx disait que les socialistes petits-bourgeois sont en réalité réactionnaires, et Lénine leur a donné le nom mérité de rêveurs « romantiques », de gens qui se détournent de la réalité et rêvent d’un retour au passé qu’ils idéalisent.
La différence entre les juges romantiques du capitalisme et les autres [Lénine a, ici, en vue les marxistes révolutionnaires] consiste, en général, « seulement » dans leur « point de vue », « seulement » dans le fait que les uns jugent d’en arrière et les autres d’en avant, les uns du point de vue du régime qui est démoli par le capitalisme, les autres du point de vue de celui que le capitalisme crée.
Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 34, édition russe.
L’issue à la servitude capitaliste ne consiste pas à « arrêter » le développement du capitalisme et à revenir à la petite production comme l’exigent les « socialistes » petits-bourgeois. L’issue consiste dans le développement des contradictions du capitalisme, car…
… plus se développe cette contradiction [entre le caractère social de la production et le caractère individuel de l’appropriation] plus il est aisé d’en sortir.
Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 40, édition russe.
Plus aisé parce que le développement de cette contradiction signifie, d’une part, la croissance de la grande production sociale, qui devient de moins en moins compatible avec l’appropriation capitaliste, et, d’autre part, la croissance de la classe ouvrière, de sa conscience, de son organisation et de sa révolte contre le joug du capital, la croissance de la force révolutionnaire qui est appelée à renverser le capitalisme.
Critique de la théorie de Rosa Luxembourg
Aux positions théoriques de Sismondi aboutit aussi, en fait, Rosa Luxembourg, bien qu’elle n’ait nullement été partisane du socialisme petit-bourgeois et que, au contraire, elle ait critiqué aussi bien Sismondi que les narodniks. Rosa Luxembourg est intervenue contre la théorie marxiste de la reproduction en affirmant que dans une société qui ne consiste que dans les seuls capitalistes et prolétaires, l’accumulation du capital est en général impossible. Rosa Luxembourg affirmait que le schéma marxiste de la reproduction élargie (voir plus haut) ne montre pas la possibilité de l’accumulation, car la partie du produit social qui représente la plus-value transformée en capital (500 de la plus-value de la section I et 150 de la plus-value de la section II) ne peut être achetée ni par les capitalistes les uns aux autres, ni par les ouvriers aux capitalistes. La vente par les capitalistes les uns aux autres d’une partie du produit supplémentaire, selon l’opinion de Rosa Luxembourg, ne signifie pas une augmentation de leur capital, et la vente par eux d’une partie du produit supplémentaire aux ouvriers signifie en réalité que les capitalistes font cadeau aux ouvriers de la plus-value. La partie accumulée du produit supplémentaire peut prétendument être achetée seulement par les petits producteurs capitalistes, désignés par le terme de « tierces personnes ».
Dans sa critique de la théorie marxiste de l’accumulation du capital (qu’elle n’a en réalité pas comprise), Rosa Luxembourg a commis une série de graves erreurs.
En premier lieu, elle n’a pas du tout compris le rôle de la consommation productive — de la consommation par les capitalistes des moyens de production sous forme de capital constant. En ajoutant la partie du produit supplémentaire qui existe sous forme de moyens de production, au capital constant (dans le schéma, 400 dans la section I et 100 dans la section II), les capitalistes ne suppriment pas cette partie de la plus-value et n’en font cadeau à personne, mais ils la transforment en capital, en moyen de soutirer aux ouvriers du travail supplémentaire. Par conséquent, il est avantageux pour les capitalistes d’acheter les uns aux autres ces moyens de production supplémentaires. En ajoutant ensuite la partie du produit supplémentaire, qui existe sous forme de moyens de consommation, à leur capital variable (dans le schéma, 100 dans la section I et 50 dans la section II), les capitalistes n’en font tout de même pas cadeau aux ouvriers, mais ils achètent la source même de la plus-value — la force de travail. Ainsi les capitalistes ont une possibilité d’accumulation même dans l’absence de « tierces personnes ».
En second lieu, qu’est-ce que représentent ces « tierces personnes » ? Ces petits producteurs de marchandises, non capitalistes, représentent le « marché extérieur » selon Sismondi et les narodniks. C’est à ces simples petits producteurs que les capitalistes doivent vendre la partie du produit qui renferme en lui-même la plus-value, laquelle est destinée à l’accumulation et existe sous la forme naturelle de moyens de production. De quels moyens de production s’agit-il donc ? Des grandes machines, de différentes sortes de matières premières et de matériaux auxiliaires, qui peuvent être appliqués seulement dans la fabrique capitaliste !
Mais supposons l’impossible : que les petits producteurs aient acheté cette partie des produits du capital social et que les capitalistes aient ainsi heureusement transformé en argent la plus-value qui s’accumule. Mais où pourront-ils alors acheter les moyens de production nécessaires pour l’accumulation, c’est-à-dire pour l’élargissement de la production ? Ils les ont vendus à des « tierces personnes ». Cela signifie qu’ils doivent les racheter aux mêmes « tierces personnes ». Mais avec le même succès ils peuvent, sans vendre à des « tierces personnes » ces moyens de production, les acheter les uns aux autres. Les « tierces personnes » n’ont absolument rien à faire ici.
À cette théorie erronée de l’accumulation de Rosa Luxembourg est étroitement liée sa très grave erreur dans la question des forces motrices de la révolution.
La question des rapports du prolétariat avec la paysannerie est une des questions fondamentales de la révolution. En opposition avec la ligne bolchevik-léniniste de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution bourgeoise-démocratique et de la transformation de celle-ci en révolution prolétarienne, Rosa Luxembourg, avec le menchévik Parvus, forgea, en 1905, la théorie de la « révolution permanente », à laquelle se rallie Trotski. Ce dernier, en même temps que Parvus, lança cette théorie au cours de sa lutte contre le bolchévisme. L’essence de cette théorie consiste en ce que, entre le prolétariat et la paysannerie, il existe prétendument des contradictions insurmontables, que la paysannerie, dans sa masse, est contre-révolutionnaire et interviendra toujours aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat, que le prolétariat est incapable de jouer un rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie.
Il est tout à fait clair que cette ligne politique de Rosa Luxembourg est étroitement liée à sa théorie de l’accumulation du capital. Comme l’accumulation du capital, selon Rosa Luxembourg, est possible seulement grâce à l’existence de « tierces personnes » (de la paysannerie), la paysannerie, arrête, repousse le krach du capitalisme, elle est une force hostile au prolétariat. C’est pourquoi le prolétariat doit vouloir la prolétarisation la plus rapide de la paysannerie. Il ne doit nullement tendre à une alliance avec les masses fondamentales de la paysannerie et à son hégémonie dans cette alliance. Mais le renoncement à l’hégémonie du prolétariat sur la paysannerie, c’est en fait le renoncement à la révolution, c’est en fait la négation de la dictature du prolétariat.
Le fait que, dans une des questions décisives, une des questions les plus importantes de la théorie du capitalisme, Rosa Luxembourg se tenait sur la même position que l’opportunisme dans la 2e Internationale d’avant-guerre est une des causes de ce que la lutte qu’elle menait contre l’opportunisme ne pouvait manquer d’être incomplète et non décisive. Rosa Luxembourg hésitait entre le menchévisme et le bolchévisme et intervint dans une série de questions contre les bolcheviks.
Critique des théories apologétiques bourgeoises
La lutte de Lénine contre toutes les théories de l’impossibilité de l’accumulation capitaliste ne signifie pas que le marxisme-léninisme admette la possibilité d’une marche régulière, ininterrompue, de la reproduction élargie en régime capitaliste. La lutte de Lénine contre les théories petites-bourgeoises du caractère non progressif du capitalisme par comparaison avec la petite production, ne signifie certes pas que le marxisme-léninisme considère le régime capitaliste comme absolument progressif et ne voit pas son caractère historiquement temporaire. Ce sont précisément Marx et Lénine qui ont dévoilé les racines mêmes des profondes contradictions du capitalisme et montré son caractère temporaire. C’est précisément Lénine qui a montré que dans son stade impérialiste de développement, lorsque les prémices du socialisme ont pleinement mûri, le capitalisme cesse d’être un mode de production progressif et se transforme en capitalisme dépérissant et pourrissant. Les apologistes bourgeois prêchent la théorie d’un développement perpétuel et sans crises du capitalisme. Ainsi Tougan-Baranovski affirmait que le capitalisme peut se développer à l’infini et sans crises, même si sur tout le globe terrestre il ne reste qu’un seul ouvrier, — une certaine proportionnalité entre les branches de la production est seule nécessaire.
Cet unique ouvrier, dit Tougan-Baranovski, mettra en mouvement toute la colossale masse des machines et à l’aide de celles-ci produira de nouvelles machines et les objets de consommation de la classe capitaliste. La classe ouvrière disparaîtra, mais cela ne gênera en rien la réalisation des produits de l’industrie capitaliste.
Tougan-Baranovski : les Crises industrielles périodiques, p. 212, édition russe.
La production des objets de consommation sera considérablement réduite, mais la consommation des moyens de production grandira et le marché capitaliste s’élargira à l’infini. On produira de la houille et du fer pour… produire encore plus de houille et de fer. Voilà à quelles sottises aboutissent les apologistes bourgeois dans leur désir de nier les contradictions du capitalisme.
Sur les traces de Tougan-Baranovski a marché un des chefs social-démocrates — Hilferding. Celui-ci écrivait encore avant la guerre que, quelque basse que soit la consommation des masses, la production peut croître à l’infini et sans crise, si seulement est conservée une proportion déterminée entre les deux sections de la production sociale. Otto Bauer affirmait la même chose. C’est là un des principes de la théorie apologétique social-démocrate du « capitalisme organisé ». Les théories des opportunistes de droite de l’équilibre et du « capitalisme organisé » sont un écho de toutes ces théories apologétiques bourgeoises.
La théorie marxiste-léniniste de la reproduction montre qu’il ne peut être question d’aucun équilibre dans la reproduction capitaliste. Les conditions d’une marche normale de la reproduction, aussi bien simple qu’élargie, caractéristiques pour le capitalisme, sont des conditions telles qu’elles « deviennent autant de conditions de la marche anormale et des possibilités de crise, cet équilibre étant purement fortuit dans le système naturel de cette production ». (Marx : le Capital, t.8, p. 158. Édit. Costes.)
Nous avons vu que l’accumulation du capital et l’élargissement du marché pour le capital s’effectuent surtout aux dépens de la croissance de la fabrication des moyens de production et non, des objets de consommation. Mais cela ne signifie pas que la production ne dépende pas du tout de la consommation. Pourtant chaque moyen de production, soit directement, soit seulement en fin de compte, doit servir à la production des objets de consommation. Par conséquent, parlant de la proportionnalité entre les sections de la production sociale, nos théoriciens de malheur, qui veulent « se détourner » de la consommation, touchent en réalité la question de la consommation. Car il s’agit de la proportionnalité entre la section qui produit les moyens de production et la section qui produit les objets de consommation. Comment, dans de telles conditions, la proportionnalité entre les branches de la production, indépendamment de la consommation, est-elle possible ? Elle est impossible.
La production capitaliste n’a pas pour but la satisfaction des besoins de la société. Elle est la production de la plus-value dans le but d’augmenter la valeur du capital, dans le but de produire une masse encore plus grande de plus-value. Et dans ce sens la production capitaliste est une production pour la production.
La production du capitaliste normal est de la production pour la production.
Marx : Histoire des doctrines économiques, t. 2, p. 154. Edit. Costes.
C’est précisément en cela que s’exprime la tendance du capital à l’accumulation illimitée.
Mais du fait qu’est caractéristique pour le capitalisme la tendance à une production illimitée pour la production, il ne s’ensuit nullement que cette tendance puisse se réaliser à l’infini et sans obstacles. C’est seulement dans les fantaisies des apologistes bourgeois du genre de Tougan-Baranovski, qui nient les contradictions du capitalisme, que la production capitaliste peut croître à l’infini et indépendamment de l’état de la consommation des masses. En réalité la croissance de la production doit se heurter aux étroites limites de la consommation des masses.
Cela découle de la contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste — contradiction qui rend impossible une proportionnalité constante entre les branches de la production et qui conditionne le retard de la consommation sur la production.
En fin de compte, la consommation productive (consommation des moyens de production) est toujours liée avec la consommation personnelle, dépend toujours de celle-ci. Cependant, pour le capitalisme, sont caractéristiques, d’une part, la tendance à un élargissement illimité de l’accumulation et de la production, et, d’autre part, la prolétarisation des masses populaires qui mettent des limites assez étroites à l’élargissement de la consommation personnelle.
Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 400, édition russe.
C’est pourquoi une accumulation ininterrompue et croissante à l’infini est impossible en régime capitaliste. Mais, cela ne signifie pas qu’en régime capitaliste il existe une surproduction systématique, constante, — cette dernière a lieu seulement périodiquement sous la forme de crises industrielles. Nous étudierons dans le chapitre suivant pourquoi et comment cela se produit.
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Ainsi la théorie marxiste-léniniste de la surproduction est la suite directe et le développement de la doctrine des contradictions du capitalisme qui découlent toutes de la contradiction fondamentale entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
La valeur scientifique de la théorie de Marx consiste dans le fait qu’elle a éclairci le procès de la reproduction et de la circulation de tout le capital social. Ensuite, la théorie de Marx a montré comment se réalise la contradiction caractéristique du capitalisme, à savoir que l’énorme croissance de la production n’est nullement accompagnée par une croissance correspondante de la consommation populaire. C’est pourquoi la théorie de Marx non seulement ne restaure pas la théorie apologétique bourgeoise… mais, au contraire, fournit une arme extrêmement forte contre cette apologétique…
La théorie de la réalisation de Marx fournit une arme extrêmement forte non seulement contre l’apologétique, mais aussi contre la critique petite-bourgeoise réactionnaire du capitalisme… Quant à la compréhension marxiste de la réalisation, elle conduit inévitablement à la reconnaissance de la progressivité historique du capitalisme (le développement des moyens de production et, par conséquent, des forces productives de la société). Par ce fait, non seulement elle ne dissimule pas, mais, au contraire, elle éclaircit le caractère historiquement temporaire du capitalisme.
Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 415-416, édition russe.
La théorie marxiste de la reproduction, développée par Lénine, a ainsi un caractère profondément révolutionnaire. Elle montre que la croissance de la production capitaliste, qui se heurte aux étroites limites de la consommation des masses exploitées par le capitalisme, conduit à la création des prémices aussi bien objectives que subjectives de la révolution socialiste. Cette croissance crée les prémices matérielles techniques, nécessaires à la construction du socialisme et, en même temps, rend inévitable la révolte des masses innombrables contre le système capitaliste.