De ce thème je retiendrai trois questions fondamentales :
- la dictature du prolétariat, instrument de la révolution prolétarienne;
- la dictature du prolétariat, domination du prolétariat sur la bourgeoisie;
- le pouvoir des Soviets, forme d’Etat de la dictature du prolétariat.
1. La dictature du prolétariat, instrument de la révolution prolétarienne. La question de la dictature prolétarienne est, avant tout, la question du contenu essentiel de la révolution prolétarienne. La révolution prolétarienne, son mouvement, son envergure, ses conquêtes ne prennent chair et os que par la dictature du prolétariat. La dictature du prolétariat est l’instrument de la révolution prolétarienne, son organe, son point d’appui le plus important, appelé à la vie d’abord pour écraser la résistance des exploiteurs renversés et consolider ses conquêtes et, en second lieu, pour mener la révolution prolétarienne jusqu’au bout, mener la révolution jusqu’à la victoire complète du socialisme. Vaincre la bourgeoisie, renverser son pouvoir, la révolution pourra bien le faire sans la dictature du prolétariat. Mais écraser la résistance de la bourgeoisie, maintenir la victoire et marcher en avant vers la victoire définitive du socialisme, la révolution ne sera plus en état de le faire si, à un certain degré de son développement, elle ne crée pas un organe spécial sous la forme de la dictature du prolétariat, comme son point d’appui fondamental.
«La question du pouvoir est la question fondamentale de toute révolution» (Lénine). Est-ce à dire que l’on doive se borner ici à prendre le pouvoir, à s’en emparer ? Evidemment non. La prise du pouvoir n’est que le commencement de la tâche. La bourgeoisie, renversée dans un pays, reste longtemps encore, pour bien des raisons, plus forte que le prolétariat qui l’a renversée. C’est pourquoi le tout est de garder le pouvoir, de le consolider, de le rendre invincible. Que faut-il pour atteindre ce but ? Il est nécessaire, pour le moins, d’accomplir trois tâches principales qui se posent devant la dictature du prolétariat «au lendemain» de la victoire :
- Briser la résistance des grands propriétaires fonciers et des capitalistes renversés et expropriés par la révolution, liquider toutes leurs tentatives de restaurer le pouvoir du Capital;
- organiser l’oeuvre de construction en rassemblant tous les travailleurs autour du prolétariat, et orienter ce travail de façon à préparer la liquidation, la suppression des classes;
- armer la révolution, organiser l’armée de la révolution pour la lutte contre les ennemis extérieurs, pour la lutte contre l’impérialisme.
La dictature du prolétariat est nécessaire pour réaliser, pour accomplir ces tâches.
La transition du capitalisme au communisme, dit Lénine, c’est toute une époque historique. Tant qu’elle n’est pas terminée, les exploiteurs gardent inéluctablement l’espoir d’une restauration, espoir qui se transforme en tentatives de restauration. A la suite d’une première défaite sérieuse, les exploiteurs qui ne s’attendaient point à être renversés, qui n’en croyaient rien et n’en admettaient pas l’idée, se lancent dans la bataille avec une énergie décuplée, avec une passion furieuse, avec une haine centuplée pour reconquérir le «paradis» perdu, pour leurs familles qui menaient une si douce existence et que, maintenant, la «vile populace» condamne à la ruine et à la misère (ou au «vil» labeur…). Et derrière les capitalistes exploiteurs, c’est la grande masse de la petite bourgeoisie qui — des dizaines d’années d’expérience historique dans tous les pays en font foi — hésite et balance, qui aujourd’hui suit le prolétariat et demain, effrayée des difficultés de la révolution, est prise de panique à la première défaite ou demi-défaite des ouvriers, s’affole, s’agite, pleurniche, court d’un camp à l’autre. (La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, t. XXIII, p. 355.)
La bourgeoisie a ses raisons de faire des tentatives de restauration, car, après son renversement, elle reste longtemps encore plus forte que le prolétariat qui l’a renversée.
Si les exploiteurs, dit Lénine, ne sont battus que dans un seul pays, — et c’est là bien entendu le cas typique, la révolution simultanée dans plusieurs pays étant une rare exception, — ils restent toutefois plus forts que les exploités. (Ibidem, p. 354.)
En quoi réside la force de la bourgeoisie renversée?
Premièrement,
dans la force du capital international, dans les forces et la solidité des liaisons internationales de la bourgeoisie.
Lénine: la Maladie infantile du communisme (le «gauchisme»), t. XXV, p. 173.
Deuxièmement, dans le fait que
longtemps après la révolution, les exploiteurs conservent nécessairement une série de réels et notables avantages: il leur reste l’argent (impossible de le supprimer d’un coup), quelques biens mobiliers, souvent considérables; Il leur reste des relations, des habitudes d’organisation et de gestion, la connaissance de tous les «secrets» de l’administration (coutumes, procédés, moyens, possibilités); il leur reste une instruction plus poussée, des affinités avec le haut personnel technique (bourgeois par sa vie et son idéologie); il leur reste une expérience infiniment supérieure de l’art militaire (ce qui est très important), etc., etc.
Lénine: La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, t. XXIII, p. 354.
Troisièmement,
dans la force de l’habitude, dans la force de la petite production, car, malheureusement, il reste encore au monde une très, très grande quantité de petite production; or, la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, à chaque heure, d’une manière spontanée et dans de vastes proportions»… car «supprimer les classes, ce n’est pas seulement chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, — ce qui nous a été relativement facile, — c’est aussi supprimer les petits producteurs de marchandises; or, ceux-ci on ne peut pas les chasser, on ne peut pas les écraser, il faut faire bon ménage avec eux. On peut (et on doit) les transformer, les rééduquer, — mais seulement par un très long travail d’organisation, très lent et très prudent.
La Maladie infantile, t. XXV, pp. 173 et 189.
Voilà pourquoi Lénine dit que:
La dictature du prolétariat, c’est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la classe nouvelle contre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont la résistance est décuplée du fait de son renversement», que «la dictature du prolétariat est une lutte opiniâtre, sanglante et non sanglante, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de la vieille société.
Ibidem, pp. 173 et 190.
Il est à peine besoin de démontrer qu’il est absolument impossible d’accomplir ces tâches à bref délai, de réaliser tout cela en quelques années. C’est pourquoi il faut considérer la dictature du prolétariat, le passage du capitalisme au communisme, non comme une période éphémère d’actes et de décrets «éminemment révolutionnaires», mais comme toute une époque historique remplie de guerres civiles et de conflits extérieurs, d’un opiniâtre travail d’organisation et d’édification économique, d’offensives et de retraites, de victoires et de défaites. Cette époque historique est nécessaire, non seulement pour créer les prémisses économiques et culturelles de la victoire totale du socialisme, mais aussi pour permettre au prolétariat, premièrement, de s’éduquer et de se retremper pour devenir une force capable de diriger le pays; en second lieu, de rééduquer et de transformer les couches petites-bourgeoises dans un sens garantissant l’organisation de la production socialiste.
Vous aurez, disait Marx aux ouvriers, à traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles et de guerres entre peuples, non seulement pour changer les rapports existants, mais pour vous changer vous- mêmes et vous rendre capables du pouvoir politique. (K. Marx: Révélation sur le procès des communistes à Cologne.)
Poursuivant et développant plus avant la pensée de Marx, Lénine écrit:
Il s’agira, sous la dictature du prolétariat, de rééduquer des millions de paysans, de petits patrons, des centaines de milliers d’employés, de fonctionnaires, d’intellectuels bourgeois, de les subordonner tous à l’Etat prolétarien et à la direction prolétarienne, de triompher de leurs habitudes et traditions bourgeoises» de même qu’il s’agira «…de rééduquer… au prix d’une lutte de longue haleine, sur la base de la dictature du prolétariat, les prolétaires eux-mêmes qui, eux non plus, ne se débarrassent pas de leurs préjugés petitsbourgeois subitement, par miracle, sur l’injonction de la Sainte-Vierge, sur l’injonction d’un mot d’ordre, d’une résolution, d’un décret, mais seulement au prix d’une lutte de masse, longue et difficile, contre les influences petites-bourgeoises sur les masses.
La Maladie infantile, t. XXV, pp. 248 et 247.
2. La dictature du prolétariat, domination du prolétariat sur la bourgeoisie. Déjà ce que nous avons dit montre que la dictature du prolétariat n’est pas un simple changement de personnes au sein du gouvernement, un changement de «cabinet», etc., laissant intact l’ancien ordre de choses économique et politique. Les menchéviks et les opportunistes de tous les pays, qui craignent la dictature comme le feu et qui, saisis de peur, substituent à la conception de la dictature celle de la «conquête du pouvoir», réduisent ordinairement la «conquête du pouvoir» à un changement de «cabinet», à l’apparition au pouvoir d’un nouveau ministère composé d’hommes tels que Scheidemann et Noske, MacDonald et Henderson. Il est à peine besoin de démontrer que ces changements de cabinet et autres analogues n’ont rien de commun avec la dictature du prolétariat, avec la conquête du pouvoir véritable par un véritable prolétariat. Avec les MacDonald et les Scheidemann au pouvoir, l’ancien ordre de choses bourgeois étant maintenu, leurs prétendus gouvernements ne peuvent être autre chose qu’un appareil au service de la bourgeoisie, qu’un camouflage des plaies de l’impérialisme, qu’un instrument entre les mains de la bourgeoisie contre le mouvement révolutionnaire des masses opprimées et exploitées. Ces gouvernements, eux, sont nécessaires au Capital en tant que paravent, lorsqu’il lui est incommode, désavantageux, difficile d’opprimer et d’exploiter les masses sans ce paravent. Certes, l’apparition de tels gouvernements est un indice montrant que «par là» (c’est-à-dire chez les capitalistes), «dans le défilé de Chipka»* tout n’est pas calme, mais malgré cela les gouvernements de ce genre restent inévitablement des gouvernements maquillés du Capital. D’un gouvernement MacDonald ou Scheidemann à la conquête du pouvoir par le prolétariat, il y a aussi loin que de la terre au ciel. La dictature du prolétariat n’est pas un changement de gouvernement, mais un nouvel Etat avec de nouveaux organes du pouvoir au centre et en province, l’Etat du prolétariat, surgi sur les ruines de l’ancien Etat, de l’Etat de la bourgeoisie.
La dictature du prolétariat surgit, non sur la base de l’ordre de choses bourgeois, mais au cours de la démolition de celui-ci, après le renversement de la bourgeoisie, au cours de l’expropriation des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, au cours de la socialisation des principaux instruments et moyens de production, au cours de la révolution prolétarienne violente. La dictature du prolétariat est un pouvoir révolutionnaire s’appuyant sur la violence exercée contre la bourgeoisie.
L’Etat est, aux mains de la classe dominante, une machine destinée à écraser la résistance de ses adversaires de classe. Sous ce rapport, la dictature du prolétariat ne se distingue en rien, quant au fond, de la dictature de toute autre classe, puisque l’Etat prolétarien est une machine servant à écraser la bourgeoisie. Mais il y a là une différence essentielle. C’est que tous les Etats de classe ayant existé jusqu’à présent étaient une dictature de la minorité exploiteuse sur la majorité exploitée, tandis que la dictature du prolétariat est la dictature de la majorité exploitée sur la minorité exploiteuse.
Bref : la dictature du prolétariat est la domination du prolétariat sur la bourgeoisie, domination qui n’est pas limitée par la loi, qui s’appuie sur la violence et jouit de la sympathie et du soutien des masses laborieuses et exploitées. (Lénine: L’Etat et la Révolution.)
De là deux conclusions fondamentales :
Première conclusion. La dictature du prolétariat ne peut être la démocratie «intégrale», la démocratie pour tous, et pour les riches et pour les pauvres; la dictature du prolétariat «doit être un Etat démocratique d’une manière nouvelle (pour les prolétaires et les non-possédants en général), et dictatoriale d’une manière nouvelle (contre la bourgeoisie)». (L’Etat et la Révolution, t. XXI, p. 393.) Les propos de Kautsky et Cie sur l’égalité universelle, sur la démocratie «pure», sur la démocratie «parfaite», etc., ne sont qu’un camouflage bourgeois de ce fait indubitable que l’égalité des exploités et des exploiteurs est impossible. La théorie de la démocratie «pure» est celle de l’aristocratie ouvrière, apprivoisée et appâtée par les forbans impérialistes. Elle a été appelée à la vie pour voiler les plaies du capitalisme, rendre moins hideux l’impérialisme et lui conférer une force morale dans sa lutte contre les masses exploitées. En régime capitaliste, il n’y a pas et il ne peut y avoir de «libertés» véritables pour les exploités, ne fût-ce que pour la raison que les locaux, les imprimeries, les dépôts de papier, etc., nécessaires pour utiliser ces «libertés» constituent le privilège des exploiteurs. En régime capitaliste, il n’y a et il ne peut y avoir de participation véritable des masses exploitées à l’administration du pays, ne fût-ce que pour la raison que dans les conditions du capitalisme, même sous le régime le plus démocratique, les gouvernements sont instaurés non par le peuple, mais par les Rothschild et les Stinnes, les Rockefeller et les Morgan. En régime capitaliste, la démocratie est une démocratie capitaliste, celle de la minorité exploiteuse, basée sur la limitation des droits de la majorité exploitée et dirigée contre cette majorité. Ce n’est que sous la dictature du prolétariat que sont possibles les libertés véritables pour les exploités et la participation véritable des prolétaires et des paysans à l’administration du pays. Sous la dictature du prolétariat, la démocratie est une démocratie prolétarienne, celle de la majorité exploitée, basée sur la limitation des droits de la minorité exploiteuse et dirigée contre cette minorité.
Deuxième conclusion. La dictature du prolétariat ne peut pas être le résultat du développement pacifique de la société bourgeoise et de la démocratie bourgeoise, — elle ne peut être que le résultat de la destruction de la machine d’Etat bourgeoise, de l’armée bourgeoise, de l’appareil administratif bourgeois, de la police bourgeoise.
«La classe ouvrière ne peut pas s’emparer simplement de la machine gouvernementale toute faite et la mettre en mouvement pour ses propres fins», disent Marx et Engels dans la préface au Manifeste du Parti communiste. La révolution prolétarienne ne doit pas «…comme cela s’est fait jusqu’à présent, transmettre la machine bureaucratique et militaire d’une main dans une autre, mais la briser… Telle est la condition préalable de toute révolution véritablement populaire sur le continent», écrivait Marx en 1871 dans une lettre à Kugelmann.
La restriction de Marx relative au continent a fourni aux opportunistes et aux menchéviks de tous les pays un prétexte pour crier bien haut que Marx admettait la possibilité d’un développement pacifique de la démocratie bourgeoise en démocratie prolétarienne, tout au moins pour certains pays ne faisant pas partie du continent européen (Angleterre, Amérique). Marx, en effet, admettait une telle possibilité, et il était fondé à l’admettre pour l’Angleterre et l’Amérique des années 1870-1880, alors que le capitalisme monopolisateur, alors que l’impérialisme n’existait pas encore, et que dans ces pays, par suite des conditions particulières de leur évolution, le militarisme et le bureaucratisme n’étaient pas encore développés. Il en était ainsi avant l’apparition de l’impérialisme développé. Mais par la suite — trente ou quarante ans plus tard — lorsque la situation de ces pays s’est trouvée radicalement changée, lorsque l’impérialisme s’est développé et a englobé tous les pays capitalistes sans exception; lorsque le militarisme et le bureaucratisme ont également fait leur apparition en Angleterre et en Amérique et que les conditions particulières de l’évolution pacifique de ces pays ont disparu, la restriction relative à ces deux pays devait tomber d’elle-même.
Aujourd’hui, dit Lénine, en 1917, à l’époque de la première grande guerre impérialiste, cette restriction de Marx ne joue plus. L’Angleterre comme l’Amérique, les plus grands et les derniers représentants — dans le monde entier — de la «liberté» anglo-saxonne (absence de militarisme et de bureaucratisme), ont glissé entièrement dans le marais européen, fangeux et sanglant, des institutions militaires et bureaucratiques qui se subordonnent tout, écrasent de leur poids toutes choses. Maintenant, en Angleterre comme en Amérique, «la condition préalable de toute révolution véritablement populaire», c’est la démolition, la destruction de la «machine d’Etat» «toute prête» (portée en ces pays, de 1914 à 1917, à une perfection «européenne», impérialiste). (L’Etat et la Révolution, t. XXI, p. 395.)
Autrement dit, la loi de la révolution violente du prolétariat, la loi de la destruction de la machine d’Etat bourgeoise, en tant que condition préalable d’une telle révolution, est la loi inéluctable du mouvement révolutionnaire des pays impérialistes du monde.
Evidemment, dans un avenir lointain, si le prolétariat est victorieux dans les principaux pays du capitalisme et si l’encerclement capitaliste actuel fait place à l’encerclement socialiste, la voie «pacifique» du développement est parfaitement possible pour certains pays capitalistes, où, devant la situation internationale «défavorable», les capitalistes jugeront plus rationnel de faire «de leur plein gré» des concessions sérieuses au prolétariat. Mais cette hypothèse ne se rapporte qu’à un avenir lointain et possible. Pour le plus proche avenir, cette hypothèse n’a aucun, absolument aucun fondement.
C’est pourquoi Lénine a raison quand il dit :
La révolution prolétarienne est impossible sans la destruction violente de la machine d’Etat bourgeoise et son remplacement par une nouvelle.
La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, t. XXIII, p. 342.
3. Le pouvoir des Soviets, forme d’Etat de la dictature du prolétariat. La victoire de la dictature du prolétariat signifie l’écrasement de la bourgeoisie, la démolition de la machine d’Etat bourgeoise, le remplacement de la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne. Voilà qui est clair. Mais quelles sont les organisations à l’aide desquelles ce travail colossal peut être accompli ? Que les anciennes formes d’organisation du prolétariat, qui se sont développées sur la base du parlementarisme bourgeois, ne puissent suffire à ce travail, cela n’est guère douteux. Quelles sont donc les nouvelles formes d’organisation du prolétariat susceptibles de jouer le rôle de fossoyeurs de la machine d’Etat bourgeoise ; susceptibles non seulement de briser cette machine et de remplacer la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne, mais aussi de devenir la base du pouvoir d’Etat prolétarien ?
Les Soviets sont cette nouvelle forme d’organisation du prolétariat.
Qu’est-ce qui fait la force des Soviets comparativement aux anciennes formes d’organisation ?
C’est que les Soviets sont les organisations de masse les plus vastes du prolétariat, car eux, et eux seuls, englobent tous les ouvriers sans exception. C’est que les Soviets sont les seules organisations de masse qui unissent tous les opprimés et exploités, ouvriers et paysans, soldats et matelots, et où, pour cette raison, la direction politique de la lutte des masses par l’avant-garde de ces masses, par le prolétariat, peut être le plus facilement et le plus amplement réalisée. C’est que les Soviets sont les organes les plus puissants de la lutte révolutionnaire des masses, de l’action politique des masses, de l’insurrection des masses, des organes capables de briser la toute-puissance du capital financier et de ses appendices politiques. C’est que les Soviets sont les organisations directes des masses elles-mêmes, c’est-à-dire les organisations les plus démocratiques et, partant, celles qui ont le plus d’autorité parmi les masses, qui leur facilitent au maximum la participation à l’organisation et à l’administration du nouvel Etat, et qui libèrent, au maximum, l’énergie révolutionnaire, l’initiative, les facultés créatrices des masses en lutte pour la destruction de l’ancien système, en lutte pour l’instauration du système nouveau, prolétarien. Le pouvoir des Soviets est l’union et la constitution des Soviets locaux en une seule organisation générale d’Etat, en une organisation d’Etat du prolétariat, avant-garde des masses opprimées et exploitées et classe dominante — c’est leur union en une République des Soviets.
L’essence du pouvoir des Soviets, c’est que les organisations de masse — les plus vastes et les plus révolutionnaires — de ces classes qui, précisément, étaient opprimées par les capitalistes et les grands propriétaires fonciers forment maintenant la «base permanente et unique* de tout le pouvoir d’Etat, de tout l’appareil d’Etat»; c’est que «précisément les masses qui, dans les Républiques bourgeoises même les plus démocratiques», étaient égales selon la loi, et qui, «par des milliers de procédés et subterfuges étaient en fait écartées de la participation à la vie politique et de la jouissance des droits et libertés démocratiques, sont appelées aujourd’hui à une participation permanente*, expresse et avec cela décisive*, à l’administration démocratique de l’Etat». (Lénine: Thèses et rapport sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat. Ier congrès de l’Internationale communiste, t. XXIV, p. 13.)
Voilà pourquoi le pouvoir des Soviets est une nouvelle forme d’organisation de l’Etat, différant dans son principe de l’ancienne forme démocratique bourgeoise et parlementaire, un nouveau type d’Etat adapté non aux objectifs d’exploitation et d’oppression des masses travailleuses, mais à ceux de leur libération complète de toute oppression et exploitation, aux objectifs de la dictature du prolétariat.
Lénine a raison quand il dit que l’avènement du pouvoir des Soviets «a marqué le terme de l’époque du parlementarisme démocratique bourgeois, le début d’un nouveau chapitre de l’histoire universelle: l’époque de la dictature prolétarienne».
Quels sont les traits caractéristiques du pouvoir des Soviets?
C’est que, les classes existant, le pouvoir des Soviets est, de toutes les organisations d’Etat possibles, celle qui a le caractère de masse le plus prononcé, celle qui est la plus démocratique; car, étant une arène pour l’alliance et la collaboration des ouvriers et des paysans exploités dans leur lutte contre les exploiteurs, et s’appuyant dans son activité sur cette alliance et sur cette collaboration, il est, par là même, le pouvoir de la majorité de la population sur la minorité, il est l’Etat de cette majorité, l’expression de sa dictature.
C’est que le pouvoir des Soviets est la plus internationaliste de toutes les organisations d’Etat de la société de classes, car, détruisant toute oppression nationale et s’appuyant sur la collaboration des masses travailleuses de nationalités différentes, il facilite, par là même, la réunion de ces masses en un seul corps d’Etat.
C’est que le pouvoir des Soviets, par sa structure même, facilite la direction des masses opprimées et exploitées, direction exercée par l’avant-garde de ces masses, par le prolétariat, qui représente le noyau le plus cohérent et le plus conscient des Soviets.
«L’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements des classes opprimées, l’expérience du mouvement socialiste mondial, dit Lénine, nous apprend que seul le prolétariat est capable de grouper et de mener à sa suite les couches disséminées et arriérées de la population laborieuse et exploitée.» (Ibidem, p. 14.) C’est que la structure du pouvoir des Soviets facilite l’application des enseignements de cette expérience.
C’est que le pouvoir des Soviets, réunissant les pouvoirs législatif et exécutif en une seule organisation d’Etat, et remplaçant les circonscriptions électorales territoriales par des unités de production — fabriques et usines, — relie directement les ouvriers et, d’une façon générale, les masses travailleuses à l’appareil administratif de l’Etat, leur apprend à gouverner le pays.
C’est que le pouvoir des Soviets est seul capable d’affranchir l’armée de la subordination au commandement bourgeois, et de la transformer d’instrument d’oppression du peuple qu’elle est sous le régime bourgeois, en instrument d’affranchissement du peuple du joug de sa propre bourgeoisie et de la bourgeoisie étrangère.
C’est que «seule l’organisation soviétique de l’Etat peut réellement briser d’un coup et détruire définitivement le vieil appareil, c’est-à-dire l’appareil bureaucratique et juridique bourgeois». (Ibidem.)
C’est que seule la forme soviétique de l’Etat, faisant participer d’une manière permanente et absolue les organisations de masse des travailleurs et des exploités au gouvernement de l’Etat, est capable de préparer ce dépérissement de l’Etat, dépérissement qui est un des éléments essentiels de la future société sans Etat, de la société communiste.
La République des Soviets est donc la forme politique recherchée et enfin trouvée, dans le cadre de laquelle doit être réalisée l’émancipation économique du prolétariat, la victoire complète du socialisme.
La Commune de Paris a été l’embryon de cette forme. Le pouvoir des Soviets en est le développement et le couronnement.
Voilà pourquoi Lénine dit que:
La République des Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans n’est pas seulement une forme des institutions démocratiques d’un type plus élevé… mais aussi la seule forme capable d’assurer la transition la plus indolore au socialisme.
Thèses sur l’Assemblée constituante», t. XXII, p. 131.