À l’époque de la révolution d’Octobre, il y avait deux types de points de vue soi-disant marxistes concernant la construction du socialisme.

La première de ces positions était représentée par les mencheviks et leurs alliés. Ces personnes s’opposaient à la poursuite de la révolution socialiste et voulaient que le pouvoir reste entre les mains de la bourgeoisie. Leur argument était que puisque le capitalisme n’était pas suffisamment avancé et n’avait pas suffisamment concentré les moyens de productions, en particulier dans l’agriculture, il n’était pas encore temps pour le prolétariat de s’emparer du pouvoir. Ils proposèrent donc que le prolétariat attende quelques temps jusqu’à ce que le capitalisme soit suffisamment avancé sous la domination de la bourgeoisie. Cela créerait les conditions de la nationalisation de tous les moyens de productions et de la construction du socialisme. Les mencheviks étaient donc en totale opposition avec la prise du pouvoir par le prolétariat et la poursuite du programme de construction du socialisme.

Le second point de vue était représenté par un groupe à l’intérieur du Parti Bolchevik, que l’on appelait la “gauche” communiste. Leur position était que le pouvoir devait être conquis et que l’ensemble des moyens de productions devaient être immédiatement nationalisé en allant jusqu’à s’emparer de la propriété des petits et moyens paysans, ainsi que celle des autres petits producteurs. Ces communistes “de gauche” voulaient ainsi prendre une position antagoniste auprès de la paysannerie et repousser les principaux alliés de la révolution.

Lénine, dans la lutte contre ces deux courants, traça la juste voie vers la construction du socialisme. Les principaux aspects de cette voie peuvent être exposés comme suit :

a) Le prolétariat ne doit laisser passer aucune chance et doit utiliser pleinement toutes les conditions favorables pour s’emparer du pouvoir. Être dans une position attentiste signifierait uniquement que le capitalisme pourrait continuer sa progression et qu’il pousserait à la ruine des millions de petits et moyens producteurs individuels.

b) Les moyens de production dans l’industrie doivent être confisqués et transformés en propriété publique.

c) Les producteurs individuels petits et moyens doivent progressivement être regroupés dans des coopératives de producteurs, c’est-à-dire dans de grandes entreprises agricoles et des fermes collectives.

d) L’industrie doit être développée à son maximum et les fermes collectives doivent se calquer sur les bases techniques modernes de la production à grande échelle. Les terres des fermes collectives ne doivent pas être confisquées, mais au contraire elles doivent être généreusement approvisionnées en tracteurs de première qualité et autres machines agricoles.

e) Les échanges sur la base de l’achat et de la vente, c’est-à-dire que la production marchande doivent être conservée pendant une certaine période, car les paysans n’accepteraient aucune autre forme de lien économique entre la ville et la campagne. Cependant, le commerce ne devrait s’accomplir qu’à travers le commerce soviétique, entre l’État, les coopératives et les fermes collectives. Ce type de commerce doit être développé au maximum et les capitalistes de tous types devront être évincés de toutes les activités commerciales.

Sur ces cinq points, les deux premières étapes que constituent la prise du pouvoir et la nationalisation de la grande industrie furent accomplies en quelques mois. Cependant, les autres étapes dans le processus de construction du socialisme ne pouvaient pas être prises immédiatement en raison des conditions extrêmement difficiles endurées par le premier État prolétarien, attaqué de toutes parts. Compte tenu de la guerre civile, la survie même de l’État était remise en question. Afin de faire face à cette attaque générale, le Parti dut mobiliser tout le pays pour combattre l’ennemi. Un ensemble de mesures d’urgence appelé “communisme de guerre” fut introduit.

Sous le communisme de guerre, le gouvernement soviétique prit le contrôle des petites et moyennes industries en plus de la grande industrie; il introduisit un monopole d’État sur le commerce du grain et prohiba la vente privée; il établit un système d’appropriation des surplus, en vertu duquel tous les excédents produits par les paysans devaient être vendus à l’État à prix fixes; et enfin il introduisit le service du travail universel pour toutes les classes, rendant le travail physique obligatoire pour la bourgeoisie, libérant ainsi les travailleurs nécessaires pour des responsabilités plus importantes sur le front. Cette politique de communisme de guerre était cependant de nature temporaire pour répondre aux besoins de la guerre. Elle aida à mobiliser l’ensemble du peuple pour la guerre et ainsi aboutit à la défaite de toutes les interventions étrangères et des réactionnaires intérieurs dès la fin de l’année 1920, tout en préservant l’indépendance et la liberté de la nouvelle république soviétique.

À partir de 1921, c’est un autre virage que prit la situation en Russie. Après avoir achevé sa victoire durant la guerre civile, l’objectif essentiel était le passage pacifique à la reconstruction économique. Pour cela, on passa du communisme de guerre à la Nouvelle Politique Économique (NEP). Conformément à cette dernière, l’appropriation obligatoire du surplus des paysans fut abandonnée, le commerce privé fut relancé et les entrepreneurs privés furent autorisés à lancer des petites entreprises. Cela était nécessaire puisque les mesures du communisme de guerre étaient allées trop loin et que certaines sections de la base de masse du Parti – en particulier la paysannerie – en étaient mécontentes. Cependant, les trotskistes s’opposèrent fermement à la NEP, qu’ils ne voyaient que comme un recul et rien d’autre. Lénine, au 10ème Congrès du Parti en mars 1921, contra les trotskistes et convainquit le congrès du changement de politique, qui fut donc adopté. Il donna également une justification théorique à l’exactitude de la NEP dans son Rapport sur les Tactiques du Parti Communiste de Russie, qui fut présenté durant le troisième congrès de l’Internationale Communiste en juillet 1921. La NEP resta en place jusqu’à la fin de l’année 1925, lorsque le XIVème Congrès du Parti prit la décision de passer à la prochaine phase de la construction du socialisme, celle de l’industrialisation socialiste.

L’Union Soviétique était encore à cette époque un pays agraire relativement arriéré, les deux tiers de la production totale venant de l’agriculture et un tiers seulement de l’industrie. En plus d’être le premier État socialiste, la question de l’indépendance économique vis à vis de l’impérialisme était d’une importance capitale. Par conséquent, la voie de la construction du socialisme devait d’abord se concentrer sur l’industrialisation socialiste. Des propres mots de Staline, « Transformer notre pays de pays agraire en pays industriel, capable de produire par ses propres forces l’outillage nécessaire, voilà le fond, la base de notre ligne générale ». Ainsi, l’accent fut mis sur l’industrie lourde qui allait produire des machines pour les autres branches d’industrie et pour l’agriculture.

Cette politique réussit à construire une base industrielle forte, indépendante de l’impérialisme. Elle permit également la défense de la forteresse socialiste lors de la Seconde Guerre Mondiale. L’industrie se développa également à un rythme beaucoup plus soutenu et rapide que les pays impérialistes les plus avancés, ce qui prouve l’immense supériorité du système socialiste. Le facteur principal de ce développement fut la participation sans réserve de l’ensemble de la classe ouvrière à l’augmentation de la production. À un moment où l’ensemble du monde capitaliste était en pleine crise économique, l’industrie socialiste fonctionnait sans le moindre problème.

Cependant, en raison de l’accent particulier mis sur le développement prioritaire de l’industrie lourde, l’agriculture fut négligée. Ainsi, dans la période où la production industrielle fut multipliée plus de neuf fois, la production de céréales n’augmenta même pas d’un cinquième. Cela montra que la croissance de l’agriculture était très faible par rapport à l’industrie. C’était également le cas dans le secteur industriel, l’industrie lourde se développant à une vitesse beaucoup plus rapide que l’industrie légère. Mao, dans sa Critique de l’Économie Soviétique, critiqua cette emphase et appela à la promotion simultanée de l’industrie et de l’agriculture. Dans l’industrie, il appela au développement commun des industries lourde et légère.

La première étape du processus de collectivisation de l’agriculture fut prise durant la période de restauration économique sous la NEP avec la formation des premières coopératives parmi les paysans petits et moyens. Cependant, en raison de la résistance des koulaks (paysans riches), il n’y eut pas beaucoup de progrès. De plus, les koulaks avaient pris une position d’opposition active de sabotage du processus de construction du socialisme. Ils refusaient de vendre à l’Etat soviétique leurs excédents de grains, ayant recours au terrorisme contre les paysans coopérateurs, contre les travailleurs du Parti et les fonctionnaires du gouvernement à la campagne. Ainsi, ils brulèrent des fermes collectives et des greniers d’État. En 1927, en raison de ce sabotage, les parts de marché des récoltes n’étaient que de 37% par rapport au chiffre d’avantguerre. Alors, durant la même année, le Parti prit la décision de lancer une offensive pour briser la résistance des koulaks. S’appuyant sur les paysans pauvres et s’alliant aux paysans moyens, le Parti fut capable d’achever avec succès l’achat de céréales et de poursuivre le processus de collectivisation. Mais l’avancée majeure allait venir à la fin de l’année 1929.

Avant 1929, le gouvernement soviétique poursuivait une politique de restriction des koulaks. L’effet de cette politique était d’arrêter la croissance de la classe des koulaks, dont certaines parties, incapables de résister à la pression de ces restrictions, furent forcées de cesser leurs activités une fois ruinés. Mais cette politique ne détruisit pas les bases économiques des koulaks en tant que classe et n’eut pas tendance à les éliminer. Cette politique était essentielle tant que les fermes collectives et les fermes d’État étaient encore faibles et incapables de remplacer les koulaks dans la production de grain.

À la fin 1929, avec la croissance des fermes collectives et des fermes d’État, le gouvernement soviétique changea radicalement de politique vis à vis des koulaks, ayant désormais l’objectif de les détruire en tant que classe. Les lois sur la location des terres et l’embauche de la main-d’œuvre furent retirées, privant ainsi les koulaks à la fois de terres et de journaliers. Le gouvernement leva l’interdiction de la confiscation de la propriété des koulaks. Cela permit aux paysans de confisquer des bovins, des machines et d’autres biens agricoles des koulaks au bénéfice des fermes collectives. Les koulaks perdaient ainsi tous leurs moyens de production. Ils furent expropriés comme les capitalistes avaient été expropriés dans le domaine industriel en 1918. La différence, cependant était que les moyens de productions des koulaks ne passèrent pas entre les mains de l’État, mais entre les mains des paysans, unis dans les fermes collectives.

Pour la mise en œuvre de cette politique, un plan graduel fut adopté. Selon les conditions des différentes régions, des taux de collectivisations différents furent établis et l’année ciblée pour l’achèvement de la collectivisation fut fixé. La production de tracteurs, de moissonneuses et d’autres machines agricoles fut multipliée. Les prêts d’État aux fermes collectives furent doublés au cours de la première année. 25 000 travailleurs de l’industrie avec une forte conscience de classe furent sélectionnés et envoyés dans les zones rurales pour aider à la mise en œuvre du plan. En dépit de certaines erreurs, le processus de collectivisation a avancé rapidement vers le succès. En 1934, 90% de la superficie totale cultivée du pays était travaillée dans l’agriculture socialiste, c’est-à-dire par les fermes d’État ou par les fermes collectives.

Tout le processus de collectivisation de l’agriculture n’était rien de moins qu’une révolution dans laquelle le prolétariat s’était allié avec les paysans pauvres et moyens pour briser l’emprise les koulaks.

Cette révolution, d’un seul coup, résolut trois problèmes fondamentaux de la construction du socialisme :

a) Elle élimina la plus nombreuse classe d’exploiteurs dans le pays, la classe des koulaks, pilier de la restauration capitaliste ;

b) Elle fit passer la plus nombreuse classe travailleuse du pays, la classe paysanne, du chemin de l’agriculture individuelle, qui génère le capitalisme, au chemin de l’agriculture coopérative, collective et socialiste ;

c) Elle fournit au régime soviétique une base socialiste dans l’agriculture, la branche d’économie nationale la plus étendue et la plus cruciale, mais la moins développée.

Avec la victoire du mouvement de collectivisation, le Parti annonça la victoire du socialisme. En janvier 1933, Staline annonçait que « La victoire du socialisme dans toutes les branches de l’économie nationale avait aboli l’exploitation de l’homme par l’homme ». En janvier 1934, le 17ème rapport du Congrès du Parti déclarait que « La forme socialiste de la structure sociale et économique – détient désormais une influence sans égal et est la seule force de commandement dans toute l’économie nationale ». L’absence de classes antagonistes fut soulignée à maintes reprises lors de la présentation de la Constitution en 1936 et dans les rapports politiques ultérieurs.

L’expérience russe dans la construction du socialisme fut d’une importance capitale pour le prolétariat international, et en particulier pour tous les pays où le prolétariat a pris le pouvoir. Staline dans son livre Les problèmes économiques du socialisme en URSS essaya de théoriser le processus de la construction du socialisme et des lois économiques du socialisme. Cependant dans son analyse, il ne fit pas d’autocritique de l’expérience russe. Plus tard, Mao fit une analyse de l’expérience russe et releva certaines erreurs dans la pratique, ainsi que dans les formulations de Staline.

Mao souligna les principales erreurs suivantes dans l’expérience russe :

1) Ne pas avoir accordé l’importance voulue à la contradiction entre les rapports de production et les forces productives. Cela se refléta dans la coexistence prolongée de deux types de propriété – d’une part la propriété de l’ensemble du peuple, représentée dans les industries nationalisées et les fermes d’État et, d’autre part, la propriété collective. Mao estimait que la coexistence prolongée de la propriété de l’ensemble du peuple avec la propriété collective devait devenir de moins en moins adaptable au développement des forces productives. Essentiellement, il fallait trouver une transition de la propriété collective à la propriété publique.

2) Ne pas avoir donné d’importance à la ligne de masse durant la construction du socialisme. Mao souligna que, dans la période qui précédait, la ligne de masse avait été adoptée, mais que par la suite, le Parti Communiste était devenu moins tributaire des masses. La technique et les cadres avaient un accent prioritaire, plutôt que la politique et les masses.

3) La négligence de la lutte des classes. Après le succès du processus de collectivisation, il n’y eut pas assez d’importance donnée à la continuation de la lutte des classes sous le socialisme.

4) Le déséquilibre dans la relation entre l’industrie lourde d’un côté et l’industrie légère et l’agriculture de l’autre.

5) Le manque de confiance envers les paysans. Mao critiqua la politique russe qui n’accordait pas l’importance nécessaire à la paysannerie.

En plus de tirer ces leçons de Staline et de l’expérience russe, Mao apprit de l’expérience chinoise. Il entreprit donc une tentative de développement de la théorie marxiste de la construction du socialisme.