FedEx : vers une nouvelle restructuration ?

La parole à un ouvrier de FedEx :

Tout bien portant est un malade qui s’ignore, tout comme un travailleur passif risque de recevoir son licenciement sans avoir vu venir le danger.

De nombreuses choses se produisent à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise sans que les travailleurs ne s’en rendent compte. Il faut donc se poser une série de questions : Y a-t-il trop de bureaucratie dans les syndicats ? Les syndicats se préoccupent-ils davantage des élections sociales à venir que de fournir des informations à tous les travailleurs ? La direction nous cacherait-elle quelque chose ?

Essayer de déterminer la cause de ce manque d’information serait chronophage. Concentrons-nous plutôt sur ce que nous savons et voyons comment cela pourrait impacter les travailleurs de FedEx.

En écoutant la déclaration du directeur de FedEx, Raj Subramaniam, tirée d’une conférence téléphonique sur les résultats des Q2, Q3, Q4 trimestres 2023 [1], et sur la volonté des actionnaires en 2022 de réaliser des profits, nous obtenons un aperçu de la future politique de FedEx.

Cette stratégie vise à réaliser plus de 4 milliards de dollars de réductions de coûts structurels annualisés d’ici l’exercice 2025, dont un tiers sera réalisé en Europe. Nous connaissons une partie de ce plan, qui consiste à réduire de 10% l’équipe de cadres à travers la politique DRIVE [2].

Dans le rapport du Q2 2023, il est mentionné :

L’intégration étant terminée, nous nous concentrons désormais sur l’optimisation. Nous ajustons notre réseau, déployons des outils pour améliorer la productivité des itinéraires et investissons dans des capacités numériques pour la planification et l’automatisation.

Et concernant le Q3 2023 :

Avant d’entrer plus en détail dans les résultats financiers, je vais rapidement évoquer DRIVE, le programme qui soutient notre transformation pour créer un FedEx plus agile, efficace et rentable. Nous sommes sur la bonne voie pour réaliser 4 milliards de dollars de réductions permanentes des coûts d’ici la fin de l’exercice 2025.

Il est à noter que durant cet entretien téléphonique, le directeur de FedEx n’a fait aucune mention de l’un de nos plus grands centres de tri FedEx Express en Europe, situé à l’aéroport de Liège, mais a plutôt mis en valeur d’autres acteurs européens.

Toujours dans la partie du rapport Q2 2023, il est dit :

Les niveaux de service continuent également de s’améliorer chez Express. En Europe, nous avons réalisé d’importants progrès, avec l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni affichant des niveaux élevés et constants de performance de service. Les défis de service à l’aéroport Charles de Gaulle de Paris ont été largement résolus, et nous capitalisons sur l’efficacité du réseau pour améliorer encore le service.

Nous prenons des mesures rapides pour résoudre les problèmes restants de notre service intra-européen, y compris la réouverture de notre hub terrestre aux Pays-Bas en octobre, qui continuera d’améliorer le transit et de soulager le reste du réseau, ainsi que la finalisation de la route de Novare, en Italie, prévue en février 2023.

Est-ce que c’est un oubli ou une volonté de sa part d’omettre de parler de Liège ? Puisque nous savons déjà qu’un tiers des 4 milliards d’économies sont à réaliser en Europe, dans quelle proportion vont-elles impacter les travailleurs de Liège ?

Est-ce que les hubs des Pays-Bas et d’Italie seront en concurrence avec celui Liège ? Lorsque l’on voit les capacités des sites de Duiven, près d’Arnhem aux Pays-Bas (à peine à 200 km de Bierset) et le centre routier international de 32.000 m² dans la région italienne du Piémont, il y a de quoi avoir quelques inquiétudes sur l’avenir du site de Liège. Surtout que le volume ne dépasse jamais 45.000 colis par jour sur Liège dans les bons jours, dont 136.000 kilos côté piste depuis la restructuration.

Le hub des Pays-Bas en chiffres :

  • Plus de 400 employés opèrent sur la plateforme ;
  • Centre de tri silencieux de 24.000 m2 sur un site de 148.000 m2
  • Capacité totale : 200.000 colis par jour, soit 3 fois plus que le volume précédemment traité. 6.000 petits colis par heure (6 fois plus qu’avant) ;
  • Le trieur gère 15.000 colis par heure (2,5 fois plus), avec possibilité d’évoluer vers 20.000 colis par heure ;
  • Plus de 100 convoyeurs avec des dispositifs d’aide au chargement/déchargement plus efficaces et plus sûrs en termes de sécurité ;
  • Une cour plus efficace pour les opérations : de nouvelles portes pour un traitement plus rapide des camions entrants, et plus d’espace pour le stationnement des camions (+ 20 %).
  • La spécificité de la plateforme est de traiter à la fois des colis et des marchandises dans un seul réseau. Les clients peuvent ainsi expédier les deux avec un seul prestataire et une seule interface.

Le hub d’Italie en chiffres :

  • Le site est doté de 240 quais pour le chargement,
  • D’une trieuse de colis de 3,73 km de long, que FedEx qualifie de « à la pointe de la technologie ».
  • Cette trieuse présente une capacité initiale de traitement de 21.600 colis et 8.000 petits paquets et documents par heure. Le bâtiment dédié au fret peut, pour sa part, traiter 4.000 expéditions de marchandises lourdes/volumineuses par heure.
  • L’expressiste affirme que ce nouveau centre générera 450 emplois locaux.

Ce n’est pas le nouveau « master plan » de développement que prévoit la direction de Liège pour février 2024 (le passage par Liège de deux vols intercontinentaux, des Boeing 777 pour la journée venant de Memphis et Indianapolis) qui nous assurera suffisamment de travail à long terme. C’est d’autant plus évident que, dans la documentation interne à FedEx, le hub de Liège est décrit comme un « hub excédentaire » par rapport au site de l’aéroport « Charles de Gaulle », alors qu’il était auparavant qualifié de « secondaire ». Le fait de récupérer des connexions vers l’Europe de l’Est et les pays nordiques pour les colis économiques n’est pas suffisant pour dissiper l’inquiétude des travailleurs.

Même si les syndicats y voient une « victoire », ils affirment également qu’il faut rester vigilants. Cette réorganisation serait-elle minime et favoriserait-elle les activités diurnes au détriment des nocturnes ? La direction de FedEx chercherait-elle à s’adapter aux exigences de la région wallonne et aux plaintes des riverains de cette manière ?

Le seul point positif de ce plan pour 2024 est la construction des palettes aériennes PMC pour les vols intercontinentaux. Cela signifie que l’on mise sur un savoir-faire difficilement délocalisable en raison de la technique et des brevets de formation qui coûtent du temps et de l’argent. Cependant, FedEx a délocalisé le département de réparation des conteneurs de type ULD vers Cologne, malgré un département compétent à Liège capable d’effectuer le travail pendant la restructuration.

Ce qui est sûr, c’est que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Les travailleurs se souviennent que d’importants investissements avaient été réalisés juste avant le licenciement massif de 2021. Pendant ce temps, FedEx investit partout sauf à l’aéroport de Liège, et les actionnaires réclament des changements dits « radicaux » pour obtenir du rendement.

C’est tellement mauvais que c’est bon, a déclaré Mehrotra, dans le sens où il est clair qu’une refonte bien plus radicale est nécessaire. [3]

Les investisseurs conviennent que les conditions commerciales se détériorent en raison de la baisse de la demande de commerce électronique, de la flambée de l’inflation et des blocages intermittents de COVID en Chine. Mais la plupart d’entre eux pensent que FedEx s’est surtout infligée elle-même des difficultés, car elle n’a pas réussi à immobiliser des avions, à fermer des bureaux et à réduire les heures de travail inutiles assez rapidement pour compenser le ralentissement. [4]

Il ne faut pas oublier que les 2,7 milliards de bénéfices en 2022 ont été intégralement reversés aux actionnaires, avec 1,5 milliard de dollars dépensés en rachats d’actions et 1,2 milliard de dollars distribués en dividendes. Il est également important de noter que l’actionnaire principal n’est plus le fondateur de FedEx, Fred Smith, mais a été remplacé par « The Vanguard Group », qui est un fonds d’investissement extrêmement vorace. Pour comprendre la voracité d’un fonds d’investissement, je vous invite à consulter le travail du CADTM, une association créée par l’économiste liégeois Éric Toussaint : https://www.cadtm.org/

Raj Subramaniam a, il y a peu, vendu certaines de ses actions : 11.225, et la vente a été réalisée à un prix moyen de 231,01 $, pour une transaction totale de 2.569.986,25 $. Après cette vente, le PDG détient 39.483 actions de FedEx, d’une valeur de 9.220.967,83 $.

Les gros investissements réalisés sur des sites concurrents hors de Liège, le changement de nature des actionnaires vers des fonds d’investissement très gourmands, la mise en place par FedEx d’un plan d’économies de 4 milliards, une demande mondiale pour le fret aérien en baisse, un plan de FedEx pour le site de Liège trop modeste par rapport aux capacités de l’outil et au savoir-faire des travailleurs pour garantir un développement de l’activité… : tout cela nous amène à penser que le scénario le plus probable à venir est une seconde restructuration sur le site de Liège. N’oublions pas non plus que FedEx nous considère comme « excédentaire » par rapport au hub de « Charles De Gaulle », qui a bénéficié d’investissements massifs en France. Récemment, dans un article, FedEx-TNT se félicitait des effets de son plan Driver (bénéfice net du premier trimestre en hausse de 23 %, chiffre d’affaires en baisse de 6 %).

Nos résultats du premier trimestre montrent l’opportunité significative dont dispose FedEx pour créer de la valeur à long terme pour ses actionnaires », déclare John Dietrich, vice-président exécutif et directeur financier de FedEx.

L’équipe FedEx travaille sans relâche, poursuit-il, pour mettre en œuvre ses initiatives de transformation, qui génèrent des gains d’efficacité et réduisent les coûts. En envisageant la suite de l’année, ma priorité majeure est de poursuivre sur cette lancée pour améliorer les marges et les rendements.

C’est comme ça que FedEX conçoit d’accaparer la richesse créée par ses travailleurs, et souvent au prix même du « sacrifice » de l’emploi d’une bonne partie d’entre eux. « Les cis ki n’ont waire di cwårs, les ritches fijhèt çou k’ i vlèt avou zels. » Traduction : « ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent (les pauvres), les riches font d’eux ce qu’ils veulent »

À moins qu’avant les élections sociales, le patronat ne surprenne les travailleurs par une annonce contredisant cette hypothèse, les travailleurs ont de bonnes raisons d’être inquiets. Il est difficile de faire confiance à une entreprise qui nous a déjà fait des promesses tout en préparant un licenciement massif. Remarquons au passage que FedEx a récemment exigé de ses employés qu’ils signent un document par lequel ils s’engagent à ne pas intenter d’action en justice contre elle pour une « erreur » dans l’établissement des fiches de paie de nombreux travailleurs (entraînant une charge fiscale plus élevée) en échange d’une prime unique de 2.500 euros bruts [5], tout en expliquant que ce geste doit être vu comme un signe d’empathie.

L’ouvrier indigné

Sources :


[1] Q1, Q2, Q3, Q4 trimestres : Q1, premier trimestre : janvier, février et mars. Q2 deuxième trimestre : avril, mai et juin. Q3, troisième trimestre : juillet, août et septembre. Q4 quatrième trimestre : octobre, novembre et décembre.

[2] Drive : il s’agit d’un vaste plan de restructuration qui doit d’une part améliorer la performance opérationnelle du groupe et d’autre part améliorer ses résultats financiers. L’objectif est fixé à 4 milliards de dollars d’économies récurrentes pour l’année fiscale 2025, à répartir entre le réseau de transport terrestre (1,2 milliards), le réseau aérien (1,3 milliards) et les services généraux (1,5 milliards).

[3] https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Analyse-Les-investisseurs-de-FedEx-sont-frustres-par-le-nouveau-PDG-apres-le-retrait-des-previsions–41833220/

[4] Ibidem

[5] Prime ne compensant pas la perte de l’indemnité de dédit ou même d’une indemnité de rupture ; la perte par travailleur peut aller de 1.000 euros à 6.000 euros bruts selon la situation individuelle.