Durant près de 500 jours, notre pays a été le théâtre d’une pièce de bien mauvais goût jouée par nos politiciens. Pendant ce temps, au-dehors : des cadavres s’amoncelant dans les maisons de repos, les ouvriers et petits salariés traités comme de la chair à canon, des licenciements à tour de bras, des familles entières jetées dans la pauvreté et la précarité… Mais voici venue la fin des ennuis avec le Vivaldi (PS-sp.a, MR-Open VLD, Ecolo-Groen ! et CD&V) ! Selon M. Magnette, le nouveau gouvernement signerait le grand « retour du cœur ». Pour l’écolo G. Gilkinet, ministre de la mobilité, le nouvel exécutif est un « gouvernement de rupture avec l’histoire qui était en train de s’écrire ». Vraiment ? Penchons-nous sur le rapport des formateurs (c’est-à-dire l’accord de gouvernement). N.B. : nous ne pourrons être exhaustifs mais d’autres publications suivront.

Pour commencer, il est important de mettre le doigt sur ce qui est ignoré.

Le gouvernement ne compte pas toucher à la loi de 1996 sur la compétitivité des entreprises. Tant pis pour les « héros » tant applaudis. Pour rappel, selon cette loi, l’évolution des salaires en Belgique doit suivre celle des salaires dans les pays voisins ; elle vise à restreindre les évolutions favorables aux travailleurs. Sous le gouvernement Michel, cette loi a été réformée pour resserrer encore le carcan au moyen de différents mécanismes.

Il n’y pas d’intention d’abaisser l’âge de la pension (il y a quelques jours, M. Magnette a déclaré que « la pension à 65 ans, c’était un mauvais combat de campagne électorale ») et sont en outre ignorées les possibilités de départ à la retraite anticipée pour les travailleurs exerçant un métier lourd ou pénible (le dossier avait été mis au placard par le gouvernement Michel ; il a désormais disparu).

L’accord ne compte pas réduire la TVA sur l’énergie, ni revenir sur le tax shift, etc. Rien ne sera fait concernant la loi de 2017 entravant les grèves des cheminots…

Elles sont belles, les promesses de campagne électorale.

Les socialistes font grand cas du relèvement de la pension minimum à 1.500 euros qui figure dans l’accord. Mais les formateurs ont pris soin d’enfumer au possible l’annonce si bien que chaque parti de la coalition peut l’enrober de la façon la plus flatteuse pour ses électeurs. En fait, il s’agira de 1.580 euros… très probablement bruts… en 2024 (patience voyons) … au bout de 45 ans de carrière. Or une fraction importante de travailleurs, en particulier les femmes, n’arrivent pas à ce seuil de 45 ans de carrière. Par ailleurs, c’est sans compter l’inflation qui aura réduit le pouvoir d’achat d’ici à 2024. Comme l’a résumé J. Hindrinks, professeur d’économie à l’UCL : « On va rater la population précarisée en matière de pension. » Bref, rien de consistant derrière un emballage tout en paillettes.  

Le volet soins de santé de l’accord de gouvernement a également fait beaucoup de bruit. À en croire les socialistes, il s’agirait d’un refinancement historique offert sur un plateau d’argent. Qu’en est-il réellement ?

La norme de croissance légale, est-il annoncé, sera fixée à 2,5% à partir de 2022 (contre 1,5% sous le gouvernement Michel). À cela s’ajoutera une enveloppe d’1,2 milliard d’euros comprenant, à hauteur de 402 millions, le « fonds blouses blanches » (finançant la création d’emplois pour le personnel de santé, l’amélioration des conditions de travail du personnel et la formation des infirmiers).

D’abord, l’accord présente les mesures annoncées comme une « grâce royale ». C’est dissimuler la part découlant de la mobilisation des blouses blanches en 2019. Ainsi en est-il du « fonds blouses blanches », au demeurant très limité et insuffisant. Ensuite, dans le contexte actuel (crise sanitaire dont la gestion par les autorités a été désastreuse, mécontentement important parmi les travailleurs de la santé, hôpitaux sous pression…), snober frontalement les blouses blanches et se soustraire à toute mesure de financement n’était pratiquement pas une option pour la coalition.

En fait, ainsi que l’écrit le collectif « La santé en lutte », « La nouvelle coalition semble vouloir nous vendre une temporisation de la régression budgétaire pour une augmentation ‘historique’ » (https://www.facebook.com/La-sant%C3%A9-en-lutte-288609832047392).

Après des années et des années de sape, le financement annoncé apparait comme un pansement sur une jambe de bois. Par ailleurs, il s’imposera d’examiner attentivement où l’argent ira ; pour le moment, on n’en est qu’au stade des annonces. Enfin et plus largement, gardons ceci à l’esprit :  ce qu’une main des gouvernants semble donner, l’autre main est prête à le récupérer. Comme « La santé en lutte » l’écrit, il faudra notamment analyser si les montants sont tirés au détriment d’autres branches de la sécurité sociale.  

Poursuivons. La note des formateurs affirme que la « réintégration des malades de longue durée au travail et sur le marché de l’emploi sera encore renforcée ». Autrement dit, la pression sur les malades de longue durée sera accentuée ; la chasse va continuer.

Si l’accord de gouvernement parle d’investissements supplémentaires dans les chemins de fer, il exprime la volonté de lancer un projet pilote de libéralisation et de régionalisation du rail. En outre, il envisage l’intégration d’une expertise privée au sein de la SNCB ; la volonté qui s’affiche derrière est la privatisation… Par ailleurs, l’accord annonce plus de flexibilité en matière de tickets et de tarifs, avec en filigrane plus de marge de manœuvre pour hausser les prix. Voilà qui est peu rassurant pour les cheminots et les usagers.

En matière de « sécurité » (sic), la note des formateurs établit comme objectif le recrutement d’au moins 1.600 policiers par an. Durant les années Di Rupo, de 2010 à 2014, on tournait à 1.000 policiers par an (sauf en 2013 avec 1.400 recrues). Une injonction budgétaire est en outre prévue (d’après les informations à disposition, quelque 213 millions d’euros). Plus de moyens pour ce corps répressif qu’est la police, donc. Or les récents épisodes de violences policières résonnent encore. De plus, « les violences envers la police et les secouristes seront fermement combattues par une politique de tolérance zéro. L’auteur de toute forme de violence à l’égard de la police ou des secouristes doit être poursuivie dans les plus brefs délais devant les juridictions pénales. » Il est également indiqué que « la tolérance zéro sera d’application pour les abus du monopole de la contrainte à l’encontre du citoyen. », mais, on ne le sait que trop bien, dans ce système, c’est voué à rester lettre morte. Deux poids, deux mesures.

Au niveau du volet asile et migration, il ressort des annonces du nouveau secrétaire d’État en place (CD&V) que sa politique s’inscrira dans la continuité de celle de ses prédécesseurs, Theo Francken en particulier. L’accent sera mis sur la détention et les expulsions. Dimanche dernier, il a confirmé la mise sur pied de centres fermés supplémentaires (La Libre, 4 octobre 2020). Le président du Vlaams Belang lui-même a indiqué avoir « confiance en Sammy Mahdi qui est moins à gauche qu’on le dit » (L’Echo, 1er octobre 2020).

Du côté des recettes, le flou est maintenu à de nombreux égards. De la façon la plus embrouillée, on nous vend un fallacieux « effort symbolique » pour les riches (sur les stocks de plus d’un million d’euros). On retrouve les habituels bavardages sur la lutte contre la fraude fiscale. En revanche, il est certain qu’on ne manquera pas d’aller chercher les recettes de la TVA et des accises, ces impôts injustes profitant aux riches (puisqu’un même montant est payé quels que soient les revenus) : 1,3 milliards d’euros en 4 ans. En synthèse, comme toujours, les travailleurs supporteront l’essentiel du poids des impôts pendant que les nantis, les gros, les capitalistes, s’y déroberont par tous les moyens.

P. Magnette et consorts tentent de détourner l’attention des travailleurs avec quelques faux-semblants sociaux et vagues promesses. Si le rythme de l’offensive contre les travailleurs semble pour le moment et, dans une certaine mesure, ralenti par rapport au gouvernement Michel, le nouvel exécutif ne dévie pas de la trajectoire politique suivie ; c’est un gouvernement bourgeois qui poursuit la politique contre les ouvriers, les petits salariés, les pauvres, les précarisés et pour les financiers, les industriels, les nantis.

Tout ça pour ça…

Le mécontentement ne peut que grandir face aux gouvernements successifs et aux patrons. Ne permettons pas qu’il soit détourné par les forces de la réaction contre quelques têtes de Turc. Transformons ce mécontentement en énergie et en ciment pour la résistance. Pour défendre leur chair et leurs conquêtes sociales, pour arracher des concessions sociales consistantes (que ce soit au niveau des pensions ou des conditions de travail, des salaires, etc.), les travailleurs doivent mener l’offensive et compter sur la lutte massive et vigoureuse qui seule peut payer. Qu’ils ne se satisfassent pas de promesses, faux-semblants et mesurettes hypocrites. Qu’ils ne se laissent pas endormir par les traditionnels agendas d’actions sans lendemain établis par les dirigeants syndicaux et les beaux discours dans le vent.  

Au-delà du gouvernement et des patrons individuels, le système capitaliste ne peut être qu’un hachoir pour la classe ouvrière qui devra le jeter et changer de système.