1. Le 19 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution « sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » (http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0021_FR.pdf). Par cette résolution, le Parlement affirme que le pacte germano-soviétique a ouvert « la voie au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ». Il « condamne toute démonstration et toute propagation d’idéologies totalitaires, telles que le nazisme et le stalinisme, dans l’Union européenne » et « se dit préoccupé par le fait que des symboles de régimes totalitaires continuent à être utilisés dans les espaces publics et à des fins commerciales, tout en rappelant qu’un certain nombre de pays européens ont interdit l’utilisation de symboles nazis et communistes ». Il condamne en outre « le recours croissant par les forces politiques extrémistes et xénophobes en Europe à la dénaturation des faits historiques et leur emploi d’une symbolique et d’une rhétorique qui font écho à certains aspects de la propagande totalitaire ». Par ailleurs, il invite les États membres « à interdire véritablement les groupes néofascistes et néonazis et toute autre fondation ou association [!] qui exalte et glorifie le nazisme et le fascisme ou toute autre forme de totalitarisme […] ». Observons que la résolution suggère furtivement (par le biais d’un de ses considérants) de prendre exemple sur « certains États membres », qui interdisent « les idéologies communiste ou nazie » !

Les résolutions du Parlement européen ne sont pas des actes contraignants ; elles ne créent pas d’obligations juridiques. Elles ont, cependant, une grande portée symbolique.

Cette résolution a été votée (à 82%) par, outre l’extrême droite et les conservateurs, l’essentiel des sociaux-démocrates et des écolos. On relèvera, parmi les Belges, Marie Arena (PS), Marc Tarabella (PS), Kathleen Van Brempt (Sp.a.) Philippe Lamberts (écolo), Petra De Sutter (Groen)…

2. En premier lieu, cette résolution braque les projecteurs sur le pacte germano-soviétique de 1939 et le déclare responsable du déclenchement de la seconde guerre mondiale (ainsi, la responsabilité des Soviétiques et celle des nazis dans le déclenchement de la guerre sont à placer sur un pied d’égalité). En deuxième lieu, elle assimile et condamne les régimes communiste et nazi. En troisième lieu, on aperçoit, en filigrane de l’ensemble de la résolution, la volonté, en dernière instance, de pousser vers une interdiction des idéologies communiste et nazie.

3. Cette résolution illustre à la perfection la manipulation de l’histoire à des fins idéologiques et politiques. L’exercice est simple, mais efficace : on falsifie l’histoire afin d’in fine aboutir à l’infâme conclusion que, le communisme et le nazisme étant tous deux de noirs totalitarismes, ils s’équivalent. Il est à souligner que, depuis l’enfance jusqu’à la mort, tout individu est confronté – au moyen des manuels d’histoire, des programmes de cours, de documentaires, de films, etc., etc. – à cette propagande élaborée par ceux qui sont à la tête du système, pour le système. Elle est puissante et place, patiemment et méticuleusement, dans le subconscient des gens, une « histoire officielle » sans fondements autres qu’idéologiques. Au demeurant, cette propagande est normale et inévitable : les communistes représentent (potentiellement) la menace ultime contre les intérêts de la classe dominante, classe dominante ayant la mainmise sur la machine étatique et son appareil de propagande, les médias (rappelez-vous notre schéma sur les propriétaires des médias belges par exemple !)…

En résumé, cette résolution, qui survient en cette période de réveil, dans maints États membres, des mouvements sociaux, s’inscrit dans cette vaste et solide dynamique de propagande anticommuniste destinée à protéger les intérêts de la classe dominante. Ainsi que l’a écrit un collectif d’académiques, intellectuels et artistes, dans une carte blanche publiée dans La Libre, cette résolution constitue une manœuvre relevant de l’intimidation politique, de la menace, à l’encontre des chercheurs et formations politiques n’avalisant pas « l’histoire officielle » (https://www.lalibre.be/debats/opinions/non-a-une-histoire-officielle-dictee-par-le-parlement-europeen-5d94697d9978e22374c334d4).

Il ne faut pas oublier que, par le passé, le Parlement adopta des résolutions analogues. Ainsi par exemple, en 2009 fut adoptée une résolution « sur la conscience européenne et le totalitarisme », tendant à assimiler les régimes communiste et nazi. Cependant, le Parlement européen, dans la résolution de cette année, est allé un cran plus loin que dans les précédentes en ce qu’il appelle à interdire les idéologies communiste et nazie, invite à interdire les symboles communistes et nazis…

Enfin, un dernier élément doit être relevé. Le Parlement européen, dans cette résolution, appelle « la société russe à accepter son passé tragique », réclame des dirigeants russes qu’ils cessent de « déformer les faits historiques » et insiste sur le fait qu’ils doivent condamner les « crimes commis par le régime totalitaire soviétique ». Le dernier point de la résolution charge, de surcroît, le président du Parlement européen de transmettre le document à la Douma d’État de Russie. Les récents sondages réalisés cette année auprès de la population russe, révélant que la popularité de Staline n’a jamais été aussi élevée en 20 ans, y sont-ils pour quelque chose (voy. notre récent post Facebook à ce sujet) ? Ce n’est certainement pas à exclure.

4. Le nazisme, c’est le fascisme à la sauce allemande de Hitler. Et c’est quoi le fascisme ? C’est la forme la plus réactionnaire de la dictature du capital financier, instaurée par les capitalistes pour écraser toute résistance des éléments progressistes de la société. Le fascisme instaure un régime de terreur des capitalistes et a dans son ADN la préparation et le déclenchement de guerres en vue d’asservir les peuples. Il s’appuie sur le racisme et le culte létal du « sang racial ». Il fait primer les instincts bestiaux sur la raison. Son instauration témoigne du fait que les classes dominantes ne sont plus à même de gouverner par les moyens démocratiques, qu’elles nécessitent la violence et la terreur pour écraser les aspirations des masses populaires.

5. Ceci étant dit, est-il vrai que les Soviétiques, pour avoir conclu le pacte germano-soviétique, doivent supporter une part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre ? Voyons cela de plus près.

En 1933, les fascistes arrivèrent, avec Hitler à leur tête, au pouvoir en Allemagne. Dès le départ, ils exposèrent leur volonté et but, qu’ils partageaient avec les puissances capitalistes du monde entier, d’anéantir l’Union soviétique.

D’emblée, en 1934, Staline déclara que « si les intérêts de l’URSS commandent un rapprochement avec tels ou tels pays qui n’ont pas intérêt à voir violer la paix, nous le faisons hésitation ».

Dès ses débuts, le régime nazi remilitarisa, pas à pas, le pays et foula aux pieds le traité de Versailles.

En 1935, Hitler rétablit le service militaire obligatoire. Ainsi, il officialisa la remilitarisation de l’Allemagne et dénonça les clauses du traité de Versailles sur la limitation des effectifs de l’armée, avec la complicité tacite des dirigeants de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis.

En 1936, les nazis occupèrent la Rhénanie (ils firent réoccuper cette zone démilitarisée par le traité de Versailles). La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis ne bougèrent pas. En fin d’année, l’Allemagne et le Japon conclurent le « Pacte anti-Kominterm ». L’Italie s’y joignit peu de temps après. Les accords secrets de ce pacte prévoyaient l’entraide des parties au cours d’une confrontation avec l’URSS.

En 1938, c’est l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. L’URSS s’y opposa et poussa à défendre l’Autriche, mais ses appels n’eurent d’autre réponse qu’un écho lointain. En mai 1938, les nazis placèrent des troupes à la frontière tchécoslovaque en vue de l’occuper. En septembre, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie se réunirent, sans avoir convié la Tchécoslovaquie et l’URSS (!!), et conclurent les accords de Munich. À la suite de ces accords, les nazis occupèrent, dans un premier temps, la région des Sudètes de la Tchécoslovaquie et, par la suite, tout le pays. Les Soviétiques offrirent leur aide à la Tchécoslovaquie, avec laquelle ils étaient liés par un traité d’assistance mutuelle, mais l’offre fut rejetée (le président de la Tchécoslovaquie avait insisté pour que le traité comprît une clause conditionnant l’assistance de l’URSS à une intervention française préalable).

Poursuivant sur leur lancée, la Grande-Bretagne et la France préparèrent un « Munich bis » ; elles envisagèrent de sacrifier la Pologne dans l’espoir que les nazis poursuivent leur campagne à l’Est, contre l’URSS.

Il est à rappeler que les Soviétiques proposèrent la conclusion d’un accord avec la Pologne pour pouvoir intervenir et contrer les nazis sur le territoire polonais en cas d’agression. La proposition fut refusée, ce qui rendit tout accord militaire effectif impossible.

Il faut noter, ainsi que l’a écrit M. Gabriel Gorodetsky, que « l’historiographie de la conférence de Munich a délibérément passé sous silence les efforts intenses de la diplomatie soviétique pour contrecarrer les actes belligérants de Hitler au cours des cinq années précédentes. » (« Un autre récit des accords de Munich », Le Monde diplomatique, octobre 2018). En fait, le régime soviétique a, durant les années 30, saisi toutes les occasions qui se sont présentées pour pousser à une alliance avec la Grande-Bretagne et la France contre le fascisme et, plus particulièrement, Hitler. Rien n’y a fait.

En résumé, la Grande-Bretagne et la France mettaient tout en œuvre pour provoquer un affrontement entre l’URSS et l’Allemagne. L’URSS était donc confrontée à un péril imminent et extrêmement grave. Compte tenu de l’ensemble des données (n’oublions pas le pacte anti-Kominterm et la menace japonaise qui grondait à l’Est), l’URSS risquait de se retrouver face à une immense coalition antisoviétique avec le soutien tacite de la Grande-Bretagne et de la France. Pour survivre, elle avait besoin de temps pour se préparer à la guerre, inévitable (ce qu’elle savait pertinemment) et devait réagir.

La Grande-Bretagne et la France pensaient erronément pouvoir être épargnées. Elles n’avaient pas prévu l’éventualité que les nazis, gourmands et incontrôlables, s’attaquassent à eux avant l’URSS. C’est pourtant ce qui se produisit. Le 20 août, les nazis proposèrent aux Soviétiques un pacte de non-agression. Naturellement, le 23, il était signé. Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. La Grande-Bretagne et la France, garantes de la Pologne et prises à leur propre piège, durent déclarer la guerre à l’Allemagne. La 2ème guerre mondiale était déclenchée.

Grâce à ce fameux pacte, l’URSS bénéficia d’un temps précieux (jusqu’au 22 juin 1941, date du début de l’invasion nazie) pour la préparation de l’affrontement et évita de tomber dans le piège de la France et de la Grande-Bretagne, ce qui eût été une catastrophe pour elle et le monde entier.

L’URSS put construire des secteurs fortifiés le long de sa frontière occidentale, préparer l’industrie et les transports en vue de la guerre, placer des dizaines de divisions à la frontière, etc., etc. Les propos du maréchal Joukov à ce sujet sont éloquents : « Quant à la période qui s’étend de 1939 jusqu’au milieu de 1941, c’est une époque où le peuple et le Parti ont fourni, pour renforcer la défense, des efforts particulièrement importants, efforts qui exigeaient l’application de toutes les forces et de tous les moyens. Une industrie développée, une agriculture collectivisée, l’instruction publique, étendue à l’ensemble de la population, l’unité de la nation, la puissance de l’État socialiste, le niveau élevé du patriotisme du peuple, la direction qui, par le Parti, était prête à réaliser l’unité entre le front et les arrières, tout cet ensemble de facteurs fut la cause première de la grande victoire qui devait couronner notre lutte contre le fascisme. Le seul fait que l’industrie soviétique ait pu produire une quantité colossale d’armements : près de 490.000 canons et mortiers, plus de 102.000 chars et canons autopropulsés, plus de 137.000 avions de combat, prouve que les fondements de l’économie, au point de vue militaire, avaient été posés de la manière voulue et étaient solides. »

6. On estime que près de 25 millions de Soviétiques, dont deux tiers de civils, moururent durant la guerre. Sur les 4.743.000 soldats allemands tués durant la guerre, 3,5 millions le furent en combattant l’Armée rouge (chiffres tirés des recherches de l’historien allemand Rüdiger Overmans, qui s’est basé sur les rapports de l’armée allemande et les archives allemandes). Cela fait presque ¾, donc trois soldats allemands sur quatre.

Il y a beaucoup d’autres choses à dire, mais les développements ci-dessus sont un minimum.

Geoffrey Roberts, se défendant de prendre position pour le communisme, a conclu ses recherches sur cette période, dont la haute qualité n’est contestée par personne, en affirmant que l’Union soviétique avait battu Hitler et « sauvé la démocratie mondiale ». Il est loin d’être le seul… R. Seth, un historien anglais, a écrit ceci :

« Quoi que vous pensiez du communisme, si vous êtes honnête, vous ne pouvez vous empêcher d’admirer les Russes…pour la vaillance, la fermeté et la maîtrise avec lesquelles ils ont retenu les Allemands à Stalingrad en 1942, et d’admirer Stalingrad, comme tête de pont, à partir de laquelle ils ont fini par changer le cours de la guerre en leur faveur et en faveur des Alliés occidentaux ».

Il est impératif de lutter résolument et sans relâche contre le tourbillon de la propagande anticommuniste mensongère et les agissements tendant à mener à une interdiction de l’idéologie communiste et de ses modes d’expression.

L’équipe de rédaction