Le droit au logement est reconnu par la Constitution belge et oblige l’État à veiller à procurer un logement digne à tous les citoyens. Relevons en outre la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU (du 10 décembre 1948), le Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels (entré en vigueur le 3 janvier 1976), la Charte sociale européenne révisée du Conseil de l’Europe (du 3 mai 1996) ainsi que la Déclaration des droits de l’enfant proclamée par l’Assemblée Générale de l’ONU du 20 novembre 1959. Ces textes internationaux font en effet du logement le socle de l’insertion économique. Apparemment, on n’a rien à craindre…

Hélas, nous vivons sous le capitalisme! après les grands et beaux discours, les effets de manche, les milliers de pages de documents avec des cachets en cire et des rubans dorés, les embrassades médiatiques des grands de ce monde, on referme la porte et on éteint la lumière. Place à la propriété privée des moyens de production, à la liberté d’entreprendre, la liberté du droit d’exploiter les travailleurs et d’empêcher qu’ils se défendent, tout ça pour garantir des bénéfices maximisés. Après le rêve, la suite de ce texte est le constat matérialiste de la société capitaliste, le constat aussi de 40 ans d’Europe « sociale », de 20 années dans l’Euro et, enfin, dans le plat pays qui est le nôtre, de 130 ans de gouvernements PS-MR-CDH en alternance variée et en mode trilingue !

En Belgique la population subit une grave crise du logement depuis des années et cela s’aggrave sans cesse. Il n’existe aucun chiffre officiel concernant le nombre de sans-abri: uniquement des évaluations par des associations. À Bruxelles par exemple le constat est effarant. La Région ne dispose pas d’une connaissance globale et précise ; ni sur les revenus des Bruxellois, ni sur leurs loyers, ni enfin sur les situations de pauvreté générées ou renforcées par le logement. Les sources aujourd’hui disponibles partagent une faiblesse majeure : elles ne prennent pas suffisamment en compte les ménages les plus précaires. Les ménages pauvres sont très mal représentés dans les analyses statistiques et les enquêtes, quand ils n’en sont pas totalement exclus. Il en va de même pour les sans-abri, les sans-papiers, les personnes placées en institutions (prison, homes etc.). .. C’est la preuve par la pratique que les pouvoirs publics n’ont pas la lutte contre la pauvreté dans leurs priorités. On doit donc « faire avec » pour essayer d’appréhender la problématique dans son ensemble.

À Bruxelles encore, c’est le sommet: dans une région où le taux de chômage atteint les 30 %, le prix moyen d’une location va de 662 € (en 2013) à 858 € voire 974 €. Le prix des loyers a explosé (+ 46% entre 1986 et 2001). Les locataires bruxellois dépensent pour se loger entre 41 % et 65 % de leur revenu. C’est moins frappant dans le reste du pays mais, malgré tout, les loyers restent en général élevés.

Par ailleurs, il n’y a que 8 % de logements sociaux alors qu’il en faudrait, au minimum, 20 à 30% ! À Charleroi par exemple, métropole la plus pauvre de Wallonie, trouver un logement à moins de 500€ par mois relève de la gageure. Les citoyens en situation de précarité n’ont d’autre choix que de faire une demande de logement social dont l’attribution peut attendre des années…jusqu’à 10 ans pour les cas les plus critiques. Il ne leur reste qu’à accepter des logements privés en très mauvais état, insalubres dans de très nombreux cas et même dangereux, comme les diverses explosions de gaz ou effondrements de bâtiments le démontrent.

Les charges locatives (c’est-à-dire ce qui est hors loyer) sont en constante augmentation. Or, il est à rappeler que l’énergie est le poste principal faisant basculer les personnes dans la précarité. Entre 5 et 10 % des ménages vivent avec un limiteur de puissance électrique. Il leur faut vivre avec un disjoncteur de 10A, avec coupure de 8h à 16h pour les clients « non protégés ». Ils doivent s’en sortir en rechargeant une carte de prépaiement dans certains commerces locaux aux heures d’ouverture et… gare aux longs week-ends de fêtes.

Les prix du logement et des charges sont tellement élevés que nombre de ménages sont obligés de réduire d’autres postes cruciaux de leur budget tels que l’alimentation, les soins de santé, l’habillement, les transports, les études ou les loisirs. Les

expulsions se suivent sans relâche et, dans le secteur privé, la protection de la trêve hivernale n’existe pas.

Au cours des dix dernières années, on a recensé environ 20.000 sans-abri, entre 12 et 15.000 personnes vivant en mobile homes ou en camping, finissant tôt ou tard par se faire expulser (au nom de la dignité humaine) et devoir déménager dans les villes et dans des logements carrément insalubres.

De grandes différences sont observées entre les caractéristiques du logement en agglomération urbaine et celles en zone rurale, où que l’on soit en Belgique. Depuis des décennies, la classe moyenne déserte les villes pour s’installer ou construire en périphérie ou dans les campagnes avoisinantes. S’ajoutent à cela la désindustrialisation massive qui a paupérisé une importante masse de travailleurs et les « politiques de la ville » aberrantes qui privilégient la construction de gros centres commerciaux. Ces politiques vident les centres-villes de leurs commerces, ce qui mène à l’abandon d’une masse de bâtiments devenus inadaptés à la location, soit en raison de leur infrastructure soit en raison des loyers impayables. Souvent donc, ces bâtiments, anciens, mal isolés, sont transformés, à la va-vite, en plusieurs appartements pour rentabiliser un maximum la location.

C’est le cas aussi des anciennes maisons dans les villes industrielles, qui sont rachetées par des « investisseurs » découpant les logements afin d’attirer les locataires précaires. Ainsi, une maison modeste qui pourrait se louer à 500 ou 600€, si elle était rénovée, se verrait transformée en quatre micro-logements de deux pièces avec une douche et un WC, pour un loyer de 400 ou 450€ par mois. Ces micro-logements donnent nécessairement lieu à une disposition des pièces insensée, digne de l’avant-guerre et non du 21ème siècle!

Il est à souligner qu’en Belgique, dans le privé, il y a 125.000 logements vides ! Souvent, les spéculateurs immobiliers achètent des maisons et les laissent pourrir, créant ainsi des quartiers sinistrés: les maisons de leurs habitants se retrouvent entourées

de bâtiments à l’abandon et de sans-abri, les habitants circulent avec crainte dans leur rue pourtant si tranquille auparavant. En définitive, nombre des habitants de ces quartiers sinistrés, à bout, quittent les lieux ou sont expropriés pour des raisons « d’utilité publique », ce qui laisse la voie libre aux promoteurs pour la construction de bâtiments et de logements de luxe. Un exemple frappant à relever est le complexe « Rive Gauche » à Charleroi.

Il faut insister sur le fait qu’il n’y a pas que la pression « du marché » qui pousse à l’exclusion: il y a aussi les « politiques de la ville » des pouvoirs locaux qui consistent à se débarrasser des ménages à bas revenus, à attirer la classe moyenne et donc, en d’autres mots, à faire de la gentrification… Dans certaines villes, des sections spéciales de la police sont chargées de visiter les logements insalubres et d’expulser les habitants (au nom du Code du logement) sans veiller à leur donner un logement de remplacement. Il en résulte qu’il faut alors trouver en urgence un habitat précaire ou plus cher, voire carrément dormir en rue… Cela induit donc une spirale négative

Alors que le droit à un logement décent est garanti par la Constitution, « on peut considérer qu’il manque en Belgique près de 300.000 logements pour rétablir un équilibre entre l’offre et la demande » (P. JAMMAR, Guide pratique du propriétaire bailleur et de ses conseillers, 2ème édition, 2015). Encore une fois, les pouvoirs publics ne sont pas volontaristes: ils traînent pour construire des logements sociaux ou refusent carrément d’en construire dans les communes riches. 25 % des communes rurales n’ont pas de logements sociaux (50 % dans la province du Luxembourg).

Les logements sociaux sont en diminution à cause des fermetures pour cause d’insalubrité et de la revente dans le privé. En moyenne, en Belgique, quelques centaines de logements sociaux sont construits tous les ans. Une étude estime qu’il faudra 846 ans pour atteindre le nombre de logements désirés (si les Belges ne font plus d’enfants…). Pourtant, jusqu’en 1980, les pouvoirs publics construisaient plus de 10.000 logements par an. Il s’agit dès lors d’un choix politique clair de laisser le parc immobilier aux mains du privé et des spéculateurs. Ceci est lié au manque de moyens financiers dû, notamment, à la politique social-démocrate-libérale qui applique les traités d’austérité européens et qui favorise les plus riches et les multinationales.

Pour que chacun bénéficie d’un logement et une vie digne d’une société évoluée, il faut prendre des mesures radicales : instaurer le socialisme (le vrai) dans ce pays.

Dans l’immédiat, on peut déjà revendiquer un blocage des loyers. Il s’agit d’une mesure contraignante qui doit être accompagnée de contrôles et de la construction de logements sociaux qui induira une nécessaire baisse des loyers. On peut en outre réclamer l’interdiction de la spéculation immobilière ou foncière par les gros promoteurs, l’interdiction de la gentrification des villes, l’instauration de la fameuse mixité sociale et l’établissement d’un plan financier de construction de 50.000 logements sociaux de qualité par an, qui seraient réservés aux allocataires sociaux et aux travailleurs aux bas salaires.

La nomination d’un ministre du logement, de l’habitat et de la ville, avec un ministère suffisamment ample et financé sérieusement, serait de surcroît souhaitable.

Enfin, l’on peut revendiquer la création d’une banque publique pour financer, entre autres, le logement social. Cela nécessiterait de méconnaitre les traités européens, donc, in fine, de sortir de l’Europe.

Écrit par Ironsteel.

Extrait du numéro 1 de notre revue, “À la racine” (mai 2019).

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