Médias de masse belges : Qui tient les ficèles ?

1. Dans cet article, nous tâcherons dans un premier temps, de déterminer entre quelles mains se trouvent à l’heure actuelle les possesseurs des principaux médias de masse belges. Dans un second temps, nous analyserons les résultats obtenus.

I. Qui détient les principaux médias de masse belges ?

2. Les principaux médias de masse belges se trouvent concentrés entre les mains d’une poignée de groupes privés : Rossel, Roularta, Medialaande Persgroep Publishing, Mediahuis, RTL Group et IPM. Nous allons passer ces groupes en revue et identifier les riches familles qui sont à leur tête par l’intermédiaire de sociétés qu’elles possèdent.

3. Sous la coupole du groupe Rossel, société anonyme, l’on trouve notamment Le Soir, les titres de Sudpresse (La Meuse, Nord Éclair, La Nouvelle Gazette, La Province, La Capitale…), les titres de Vlan, Mediafin (la participation de Rossel dans Mediafin monte à 50%), qui édite L’Écho et De Tijd… Derrière ce gigantesque groupe, l’on trouve la famille Hurbain. Selon le site De Rijkste Belgen, en 2015, la fortune de celle-ci était estimée à la bagatelle de 169 millions d’euros, ce qui faisait d’elle la 130ème famille la plus fortunée de Belgique.

Le groupe Roularta (nom complet : Roularta Media Group), société anonyme cotée en bourse, est à la tête de nombreux titres : Le Vif/L’Express, Knack, Trends, Sport/Foot Magazine, Trends-Tendances, etc. Depuis 2018, le groupe détient en outre 50% dans Mediafin (qui, comme cela a été indiqué plus haut, édite L’Écho et De Tijd). Auparavant, deux familles possédaient Roularta : les familles De Nolf et Claeys. D’après le site De Rijkste Belgen, la fortune de la première était, en 2015, estimée à 213 millions d’euros (105ème plus grosse fortune en Belgique) et la fortune de la seconde à près de 59 millions d’euros (310ème dans la liste des plus grosses fortunes belges). Depuis 2018, par un jeu de rachat d’actions, la famille De Nolf a franchi le seuil de participation de 65%, ce qui la rend pleinement maître à bord (1).

Entre les mains du groupe Medialaande Persgroep Publishing, société anonyme, il y a, pour la Belgique (le groupe est également actif dans d’autres pays), entre autres, VTM, Q-music, Vitaya, Het Laatste Nieuws, De Morgen… La famille Van Thillo, dont la fortune était en 2015 estimée à 1 milliard 629 millions d’euros (15ème plus importante fortune de Belgique), possède ce groupe. Notons qu’elle a construit son empire sur le marché des médias mais aussi sur les activités bancaires.

Depuis 2013 existe le groupe Mediahuis, société anonyme ; il est le produit de la fusion des groupes Corelio et Concentra.

Le groupe Corelio était propriétaire des quotidiens De Standaard et Het Nieuwsblad. Il était lui-même possédé par, notamment, les familles Leysen (fortune estimée, en 2015, à 50 millions d’euros et 352ème position dans les fortunes belges), Van Waeyenberge (fortune estimée, en 2015, à 176 millions d’euros et 124ème rang dans les fortunes belges) et Vlerick (fortune estimée, en 2015, à 181 millions d’euros et 120ème rang dans les fortunes belges) ainsi que par le groupe Ackermans & van Haaren (coté en bourse et également actif dans l’immobilier, l’agro-industriel, le secteur bancaire, le dragage…). Ajoutons que la famille Vlerick est également active dans le secteur bancaire (KBC) et textile et que la famille Van Waeyenberge a construit son empire sur le commerce et le courtage.

Quant à Concentra, il regroupait notamment Nostalgie, Het Belang van Limburg… C’est la famille Baert qui en était à la tête. Sa fortune, en 2015, était estimée à 66 millions d’euros (284ème plus grosse fortune en Belgique).

Passons à l’immense RTL Group, société anonyme, actif aux quatre coins du monde. En Belgique, il est, notamment, propriétaire à plus de 50% de RTL Belgium (RTL-TVI, Club RTL, Plug RTL) et a de hauts pourcentages dans Radio H (Radio Contact, Bel RTL…). Le groupe allemand Bertelsmann en est l’actionnaire majoritaire. La famille Mohn exerce un contrôle considérable sur ce groupe. Sa fortune est estimée à 3,1 milliards de dollars…

N’oublions pas IPM, société anonyme, qui est le groupe qui possède notamment La Libre, La Dernière Heure, DH Radio… Il est en outre actionnaire minoritaire dans Audiopresse qui détient 34% dans RTL Belgium. Derrière IPM, c’est la famille Le Hodey que l’on trouve, dont la fortune était, en 2015, estimée à 41 millions d’euros (416ème plus grosse fortune en Belgique). Notons de surcroît que l’agence de presse Belga, principal fournisseur d’actualité des médias, est détenue par Mediahuis, Rossel et IPM.

Enfin, mentionnons la RTBF, la VRT et la BRF, qui sont détenues par l’État, ainsi que Nethys (dont le CEO est Stéphane Moreau) à la tête des Éditions de l’Avenir.

4. Résumons un peu : les principaux médias de masse belges sont entre les mains d’une poignée de sociétés anonymes dont la gestion est actionnariale et dont l’objet est, par essence, la recherche du profit maximal et l’accroissement continu du capital. Ces quelques sociétés anonymes sont elles-mêmes la propriété de quelques familles ultra-fortunées qui, pour certaines, sont également actives dans l’industrie et la finance.

Plus clairement et directement, les principaux médias de masse belges sont la propriété d’une poignée de gros capitalistes. En réalité, cet état de fait s’inscrit dans l’ordre économique normal des choses. Expliquons-nous.

La concentration du capital caractérise notre système économique. La concentration du capital, c’est l’accroissement du capital dans une entreprise donnée par l’accumulation. Autrement dit, le capitaliste transforme une partie de la plus-value qu’il s’est appropriée en nouveau capital s’ajoutant à l’ancien, ce qui a pour conséquence que le capital dans son entreprise grandit. Rappelons que la plus-value se définit comme étant la valeur créée par le travail du salarié en sus de la valeur de sa force de travail.

La concentration du capital est à distinguer de la centralisation du capital. La centralisation du capital vise, comme la concentration, l’accroissement du capital. Cependant, dans le cas de la centralisation, cet accroissement trouve son origine dans la fusion de plusieurs capitaux existants en un capital unique plus important. D’une part, dans la concurrence, les capitalistes les plus forts, ayant concentré le plus de capital, l’emportent sur les plus faibles et s’emparent des entreprises, des capitaux, de ces derniers. Sous cet aspect, on peut dire que la concentration du capital engendre la centralisation du capital. D’autre part, la centralisation du capital peut s’opérer par l’organisation de structures regroupant plusieurs capitaux.

Eh bien! la concentration et la centralisation du capital, qui sont liées mais distinctes, placent entre un nombre réduit de mains de colossales richesses.

Cette parenthèse théorique nous rappelle donc ceci: puisque les médias de masse n’échappent pas aux lois du capitalisme, le constat selon lequel il se trouvent actuellement entre les mains d’une poignée de capitalistes concentrant un amas colossal de capitaux n’a rien d’étonnant!

II. Qu’en tirer comme conclusions ?

5. On l’a constaté dans la section précédente, une partie déterminante de la diffusion d’information à la population est le monopole du grand capital. Qu’est-ce que cela implique concrètement ?

Ainsi que l’ont écrit E. Herman et N. Chomsky, la réalité se cachant derrière le postulat selon lequel les médias, dans notre système, sont indépendants et objectifs, est enfumée par de nombreux éléments : la censure officielle est, de manière générale, quasi inexistante dans nos régimes actuels, les médias semblent prompts à dénoncer et critiquer les actes des gouvernements et se « posent en farouches défenseurs de la liberté d’expression et de l’intérêt général », etc. (E. Herman et N. Chomsky, La fabrication du consentement, Marseille, Agone, 2008, p. 25). Tâchons toutefois de mettre en lumière certains des aspects de cette réalité.

6. La possession d’un média par un grand capitaliste implique que tout est cadenassé en amont. Le personnel au sein des rédactions est adroitement sélectionné afin de verrouiller les lignes éditoriales et si une mauvaise herbe apparait, on s’en débarrasse par un licenciement en bonne et due forme. Nul besoin, dans ces conditions, de censure officielle…

Ainsi, le cadre dans lequel les lignes éditoriales se meuvent est strictement limité. Autrement dit, le champ qui est laissé à l’analyse critique est circonscrit aux intérêts de leurs maîtres, intérêts qui sont, eux, très vastes et variés. Il est à noter que ce champ, aussi étriqué soit-il, est juste assez ample pour garder une apparence de crédibilité.

7. De surcroît, les médias de masse contribuant grandement à orienter et influencer l’opinion publique, le grand capital est en mesure, selon les mots de E. Herman et N. Chomsky, « d’imposer la trame des discours, de décider ce que le bon peuple a le droit de voir, d’entendre ou de penser, et de « gérer » l’opinion à coups de campagnes de propagande » (ibid., p. 13).

Ils sont, par ailleurs, incontournables sur le plan de la visibilité des hommes et femmes politiques et susceptibles de causer à ces derniers des dommages dévastateurs. Il découle de cela un puissant pouvoir de dissuasion vis-à-vis de ces hommes et femmes politiques. Dès lors, les grands capitalistes, propriétaires des médias de masse, concentrent entre leurs mains ce pouvoir politique colossal.

8. Relevons un dernier élément : l’objectif poursuivi par tout capitaliste est et ne peut être que la poursuite de la maximisation des profits. La poursuite du profit par les capitalistes propriétaires des médias s’effectue par le développement des activités médiatiques en tant que telles, mais ce n’est pas tout : cette poursuite du profit s’effectue également par une voie moins directe. Qu’est-ce à dire ? Comme on l’a constaté, les familles possédant les principaux groupes de médias de masse sont, bien souvent, également actives dans les secteurs bancaires et industriels. Eh bien ! la possession de médias de masse permet, directement et indirectement (le pouvoir de dissuasion !), à ces familles de maintenir, construire ou développer très efficacement l’image de marque de leurs entreprises actives dans les autres secteurs, ce qui est très rentable.

9. Pour conclure, la monopolisation des principaux médias de masse par le grand capital :

– implique que la diffusion de l’information par ces médias est pleinement soumise à la logique de la maximisation du profit, au détriment de la vérité et de l’objectivité ;

– participe à la légitimation du système capitaliste en place et ;

– contribue au maintien ferme de la machine étatique entre les mains de la classe capitaliste.

Cette monopolisation est la conséquence logique et inévitable des lois du capitalisme. Tant que nous nous trouverons sous le joug de ces lois, il ne pourra en être autrement.

(1) https://www.roularta.be/fr/%C3%A0-propos-de-roularta/communiqu%C3%A9s/publication-relative-%C3%A0-une-notification-de-transparence-re%C3%A7ue-par-0.

Sources :

  • le site « L’actionnariat des entreprises wallonnes » du CRIPS (http://www.actionnariatwallon.be/)
  • le site « De Rijkste Belgen » (https://derijkstebelgen.be/)
  • E. Herman et N. Chomsky, La fabrication du consentement, Marseille, Agone, 2008
  • Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme
  • K. Marx, Le Capital, Livre 1er
  • L. Ségal, Principes d’économie politique.

Écrit par Adrien Arce

Extrait du n° 2 (juin 2019) de notre revue, “À la racine”.

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